Crass test réussi

Jeffrey Lewis offre une deuxième vie à une douzaine de chansons de Crass. Étonnante réussite.

Jacques Vincent  • 21 février 2008 abonné·es

Sorti l’automne dernier, ce disque n’est pas d’une actualité brûlante. Mais il est tellement singulier et réussi qu’il mérite qu’on s’y attarde. Voici donc Jeffrey Lewis reprenant Crass sur un disque entier. Crass? Un collectif d’activistes anarchistes punks anglais apparu en 1978 et que résumait assez bien un de ses morceaux, «Punk is Dead». Le groupe voyait moins la fin du mouvement à travers un point de vue historique, qui la situerait, par exemple, le jour du naufrage définitif des Sex Pistols dans la baie de San Francisco, que sur un plan éthique, prenant pour symbole la signature des Clash chez CBS. «CBS a assuré la promotion des Clash/Pas pour la révolution mais pour le cash.» D’où une attitude prônant un retour à ce qu’il considérait comme l’esprit de la chose, un do it yourself doublé d’une absolue réfraction à toute compromission et un engagement qu’on ne peut qualifier que de politique. Résultat : des chansons surtout axées sur le message, confinant l’enrobage au niveau le plus fruste et le plus minimal, particulièrement virulentes au moment de la guerre des Malouines, notamment le fameux «How Does it Feel to Be The Mother of A thousand Dead?» (quel effet ça fait d’être la mère d’un millier de morts ?), directement adressé à Margaret Thatcher.

Un côté bricolo dans un sens pas très éloigné de l’esprit de ce chantre de l’antifolk qu’est Jeffrey Lewis, lequel avait donc à sa disposition un matériau dont les deux principales composantes, les textes et la musique, étaient loin d’être au même niveau. Son travail a essentiellement consisté à (re)mettre ces textes en musique, parfois en les actualisant, remplaçant ainsi les Malouines par l’Irak. Tout en gardant son propre côté minimaliste, une guitare acoustique, quelques percussions et, ici ou là, une série d’instruments plutôt étrangers au genre: orgue, flûte, violoncelle, piano, chacun intervenant sur telle ou telle chanson. L’électricité est d’ailleurs absente, à l’exception notable de «BigA, LittleA», où elle fait une apparition d’autant plus remarquée qu’elle est explosive. Mais sa plus belle trouvaille reste, sur la plupart des morceaux, d’avoir doublé sa voix de celle d’Helen Schreiner. En lieu et place de l’énergie primaire originelle, le duo interprète ces chansons avec un enthousiasme un peu naïf extrêmement communicatif.

Ce travail aussi fin qu’intelligent offre une deuxième vie aux chansons de Crass, qui sonnent juste trente ans après. Certaines sont même carrément irrésistibles. On ajoutera deux satisfactions supplémentaires: d’abord la dédicace à Tom Rapp, le génial leader des très underground Pearls Before Swine; ensuite, le fait que, non content d’être un plaisir pour les oreilles, ce disque est aussi un bel objet, également dû à Jeffrey Lewis, qui raconte en bande dessinée ­genre dans lequel il officie également­ comment les chansons de Crass sont entrées dans sa vie. Bel exemple d’artisanat.

Culture
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