« Des petits meurtres entre amis »

Selon Antoine Glaser, rédacteur en chef de la Lettre du Continent, la prise du pouvoir par les rebelles tchadiens n’apporterait de changements importants ni pour les Tchadiens, ni pour la France.

Marine Raté  • 7 février 2008 abonné·es

Le conflit tchadien est présenté par les médias selon un schéma réducteur : rebelles contre régime en place. Qui sont les rebelles du Front uni pour le changement (FUC) et quels sont les enjeux ?

Antoine Glaser : Les dirigeants de la force rebelle du FUC, Mahamat Nouri et Timan Erdimi, sont des anciens dissidents du régime d’Idriss Déby. Mahamat Nouri est un ancien ministre de la Défense du gouvernement d’Idriss Déby Itno et Timan Erdimi, oncle de l’actuel président tchadien, était le directeur de cabinet d’Idriss Déby Itno. Il s’agit d’une guerre entre « frères d’armes » qui ont combattu ensemble contre la Libye dans les années 1980. La formation d’une opposition par les proches du président Idriss Deby a commencé lorsque celui-ci a capté petit à petit une manne pétrolière relativement importante du Tchad, au détriment de ses proches, qui ont alors rejoint les dissidences et les rebelles au Soudan. L’enjeu se situe au niveau de conflits personnels entre chefs de guerre, avec pour objectif la prise du pouvoir, qui, en Afrique, permet un accès aux richesses.

Comment définiriez-vous la position de la France ?

La France est dans une position ambiguë, tout d’abord parce qu’elle est l’ancienne puissance coloniale aux yeux de l’ensemble des Africains et en particulier des Tchadiens. Ensuite, en raison de l’amalgame fait entre un accord de coopération militaire technique, qui constitue une aide logistique et médicale, et un accord de défense qui a été signé avec une dizaine d’autres pays africains, qui prévoit que les militaires français interviennent en cas d’agression extérieure. L’attitude de la France est d’autant plus ambiguë qu’elle dispose de deux mille soldats français au Tchad et qu’elle est présente au coeur de l’appareil d’État tchadien. Il n’y a pas de redéfinition réelle claire de la politique africaine depuis les anciens accords des années 1960, qui n’ont jamais été révisés. Et, enfin, l’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby Itno s’est déroulée avec l’aide des services secrets français contre l’ancien président Hissène Habré, considéré à l’époque par la France et la Libye comme un individu corrompu qu’il fallait rapidement éjecter du pouvoir. C’est par cette succession de chefs de guerre tous cooptés à certains moments donnés par la France que l’histoire des relations entre les deux pays s’est écrite.

Quoi que l’hypothèse soit de moins en moins envisageable à l’heure où nous parlons, quelles conséquences aurait, selon vous, la mise en place d’un nouveau régime formé par les rebelles ?

Les dirigeants rebelles étant des personnalités qui étaient dans l’entourage même d’Idriss Déby Itno, ils sont bien connus du gouvernement et des militaires français. Il n’y aurait donc pas de vrais risques, notamment pour la France, contrairement à ce qui est affirmé concernant l’opération Eufor [^2]. Une fois installés au pouvoir, les dirigeants rebelles deviendraient des « bons nationalistes tchadiens », peu différents d’Idriss Déby Itno. Et l’opération Eufor ne les dérangera pas, dans la mesure où il est uniquement question d’une guerre de réseaux.

Les liens des forces rebelles avec le Soudan sont-elles simplement tactiques ou durables ?

Il est évident que le Soudan soutient les rebelles tchadiens qui sont sur son territoire, de la même façon que le président Idriss Déby Itno soutient des rebelles soudanais qui sont de sa propre ethnie, les Zaghawa, et qui sont hostiles au gouvernement d’Ahmed El-Bechir au Soudan. Chacun soutient la rébellion dans le camp de l’autre, d’où l’expression « petits meurtres entre amis ».

[^2]: Les ministres européens des Affaires étrangères ont approuvé lundi l’envoi d’une force de 3 700 soldats dans le cadre de l’opération Eufor. Ces soldats, disposés dans l’est du Tchad et au nord-est de la République centrafricaine, devraient « assurer la sécurité » des 400 000 réfugiés venus du Darfour.

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