Deuxième peau

Méditation poétique
de Jia Zhang-Ke sur la filière
du textile en Chine.

Ingrid Merckx  • 7 février 2008 abonné·es

Textile chinois. Deux termes directement associés à crise, exploitation, délocalisation, mondialisation… Troisième volet d’une trilogie documentaire, Useless, de Jia Zhang-Ke, suit un élan altermondialiste en remontant la filière du textile en Chine. D’une grosse usine de Canton jusqu’aux ateliers de couture de la région de Shanxi en passant par le studio de la styliste Ma Ke, il cherche à exprimer les conditions de vie des ouvriers, ceux qui travaillent à la chaîne comme ceux qui ont dû se reconvertir sous l’explosion de l’industrie du prêt-à-porter.

Associant absence de discours, présence délicate et une lenteur de caméra qui permet de faire exister dans le cadre les expressions des visages mais aussi les vêtements de tous les jours, l’environnement immédiat, des bribes de dialogues…, Jia Zhang-Ke transcende la démarche politique. Ma Ke est pour cela un relais en or, dans le discours mais surtout dans la démarche. Pour résister à la société de consommation adepte du « jetable », cette jeune créatrice de mode a décidé de créer une ligne («~Wu Yong~», «~Useless~», c’est-à-dire «~inutile~») où les objets auraient une âme, une histoire, un passé. Jia Zhang-Ke assiste ainsi à la finalisation, dans un studio de lumière, de la collection qu’elle va introduire comme un manifeste au coeur de la fashion week 2007 à Paris. Et quelle jolie victoire que le succès de ses mannequins antiluxe bling-bling progressivement révélés dans l’obscurité comme une oeuvre d’art. Surtout, Jia Zhang-Ke montre comment Ma Ke enterre ses créations après les avoir frottées de terre « pour qu’elles s’imprègnent de l’usure du temps » .

Le cinéaste partage avec la styliste un même goût pour la matière : peau, tissu, terre… C’est palpable dès ses premiers plans, qui suivent des visages, des cous, des bras, éclairés au néon, balayés par des ventilateurs. Ou durant ce moment passé chez un ancien tailleur du Shanxi. Modestie du logement, timidité du couple : « Dans quelle tenue préférez-vous votre femme ? » Cela devient frappant lors de cette scène mémorable où des mineurs prennent la douche collective qui va les nettoyer du labeur. Peau, charbon, eau, peau… tissus, enfin. Pour couvrir les corps.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Pasolini, la conspiration du pétrole
Théâtre 5 décembre 2025 abonné·es

Pasolini, la conspiration du pétrole

Avec Pétrole, le metteur en scène Sylvain Creuzevault partage avec le public son goût pour l’œuvre de Pasolini, qui accompagne depuis ses débuts son aventure théâtrale. Un passionnant livre d’entretien mené par Olivier Neveux prolonge notre immersion sur la planète Singe, nom de la compagnie de l’artiste.
Par Anaïs Heluin
Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »
Entretien 3 décembre 2025 abonné·es

Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »

Dans Dites-lui que je l’aime, adaptation très libre du livre éponyme de Clémentine Autain, aussi présente dans le film, la réalisatrice rend hommage à des femmes, leurs mères, dans l’incapacité d’exprimer leur amour à leur enfant. Elle explique ici comment elle a construit son film à partir du texte de l’autrice, en qui elle a reconnu un lien de gémellité.
Par Christophe Kantcheff
« Mektoub my Love : Canto Due » : un bien sage retour
Cinéma 2 décembre 2025 abonné·es

« Mektoub my Love : Canto Due » : un bien sage retour

Sept ans après, Abdellatif Kechiche complète son triptyque.
Par Christophe Kantcheff
« Aïta – fragments poétiques d’une scène marocaine » : cris et miroitements
Exposition 28 novembre 2025 abonné·es

« Aïta – fragments poétiques d’une scène marocaine » : cris et miroitements

À Bordeaux, le Frac MÉCA reflète la vitalité remarquable de la scène artistique du Maroc – des années 1960 à aujourd’hui – via une exposition chorale qui s’articule autour de l’aïta, art populaire symbole d’insoumission porté par des femmes aux voix puissantes.
Par Jérôme Provençal