« À Paris, c’est à la nature des bâtiments qu’il faut s’attaquer »

Mireille Ferri, vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France*, a débattu le 28 février avec le collectif Jeudi noir sur les politiques d’urbanisme à Paris. Elle en expose ici les enjeux en termes de transports, de logements, d’activités, etc.

Ingrid Merckx  • 6 mars 2008 abonné·es

L’extension en hauteur et en largeur est-elle l’enjeu n°1 pour la capitale? En quoi consiste le clivage politique opposant le Grand Paris à Paris Métropole?

Mireille Ferri : Toutes les métropoles modernes ont besoin d’espace. Mais, comparée aux autres, Paris est déjà très dense et très serrée dans ses murs. De nouveaux pôles d’activités se développent donc en dehors, à la Défense ou à Issy-les-Moulineaux par exemple. Pour que ces activités restent sur son territoire, certains ont pensé agrandir la ville, soit en l’étendant dans des limites qui correspondent à l’ancien département de la Seine, soit aux 29 communes limitrophes. Tout le monde est d’accord sur l’idée d’un territoire plus vaste. C’est sur le mode de gouvernance que se dégagent des clivages. Certains alimentent une vision plutôt ancienne de la ville comme hypercoeur, où la cible s’élargit, en prétendant que l’unité centrale va engendrer de la cohérence autour. C’est l’idée du Grand Paris, qui risque de voir se développer des emplois à l’ouest et de l’habitat social au nord-est : en gros, vivront à Aubervilliers ceux qui iront faire le ménage à Issy-les-Moulineaux. D’autres défendent l’idée de construction en réseau. Ou en pétales : une ville structurée en différents pôles (Plaine de France, vallée de la Bièvre, zone de la Défense, villes de l’Est parisien, etc.) mariant activités et logements dans un processus de négociations. Grosso modo, le clivage oppose la droite et la gauche. D’un côté, les partisans d’une gouvernance unique se rassemblent autour du discours tenu par Nicolas Sarkozy au Bourget sur le Grand Paris. De l’autre, on retrouve les défenseurs de la coopération entre les communes autour de l’idée de Paris Métropole.

Illustration - « À Paris, c'est à la nature des bâtiments qu'il faut s'attaquer »


L’ouest de Paris, ici le quartier de La?Défense, présente déjà une forte concentration d’emplois. AFP

Autre sujet polémique sur l’extension de la capitale: faut-il des tours dans Paris?

Je regrette que le débat autour du plan local d’urbanisme (PLU) se soit focalisé sur la question des tours, qui me paraît d’autant plus périphérique qu’elle élude la question essentielle : qu’est-ce qu’une vraie densité urbaine ? À Paris, il y a urgence à limiter la casse de l’étalement urbain en développant le logement, les services, les espaces verts… Mais les tours ne sont pas une solution, notamment à la crise du logement. Elles renvoient à un urbanisme relégué : des constructions de 20 étages ou en barre autour d’espaces vides qui ne sont pas des espaces urbains car dépourvus d’espace public, de rues, d’écoles, de transports, de commerces… De plus, elles sont voraces en énergie : dès qu’on dépasse 10~étages, il faut de l’air climatisé puisqu’on ne peut pas ouvrir les fenêtres, et plusieurs ascenseurs. Enfin, contrairement à ce qu’on pense, on loge plus de monde dans un quartier haussmannien que dans une cité, où il y a beaucoup d’espace perdu. Ainsi, la place des Vosges est-elle un modèle d’urbanisme intelligent parce que l’habitat permet de loger énormément de personnes autour d’un espace ouvert. On ne vit bien dans un espace compact que si l’on dégage des espaces ouverts.

Comment répondre à la crise du logement dans une ville déjà extrêmement dense?

Quelques quartiers se transforment à Paris : les Batignolles, Bercy… mais il faut se résoudre à l’évidence : on ne pourra pas construire beaucoup plus. C’est à la nature des bâtiments qu’il faut s’attaquer : en ce moment, l’offre se concentre sur des bureaux et des logements de plus en plus chers. Comment préserver la diversité de logements et augmenter le nombre de logements sociaux ? Les politiques publiques doivent se concentrer sur le foncier : il faut d’une part miser sur la transformation (de bureaux en logements sociaux notamment), et d’autre part freiner la spéculation. L’effort de construction doit se porter, lui, sur la région. Pour cela, il faut s’appuyer sur un organisme public qui achète des terrains mais dans un contexte de limitation des prix. La crise du logement provient d’un double phénomène : l’État a cessé depuis une dizaine d’années de construire du logement social, et les opérateurs privés qui ne pouvaient plus espérer réaliser de gros bénéfices à Paris sont partis investir en province. La question, aujourd’hui, c’est : le financement public suffit-il ? Ou faut-il développer des modes de financement mixtes ?

Les logements sociaux sont-ils forcément «bas de gamme»?

Pas du tout. Aujourd’hui, la plupart des constructeurs de logements sociaux font le pari du développement durable. Également pour des raisons économiques : comme les constructeurs sont aussi les gestionnaires, ils ont tout intérêt à ce que l’habitat ne se dégrade pas dans les dix ans, et ils sont sensibles à la qualité initiale et environnementale. Il y a une petite quinzaine d’années, je me souviens qu’il fallait encore se battre contre l’installation de chauffage électrique dans les logements sociaux. Aujourd’hui, on n’en trouve plus : à partir de la question énergétique, un renversement s’est opéré vers un mode de construction à haute qualité environnementale.

Comment résumer le débat sur le développement des transports en Île-de-France?

Le débat se pose en des termes assez caricaturaux. Le schéma directeur de région en Île-de-France (SDRIF) prévoit de prolonger les différentes lignes de métro et de mettre en place des lignes circulaires interbanlieues. En bref, de développer les transports publics et les associations trains-trams pour circuler jusqu’aux extrémités de la région. Le problème, c’est que l’État prévoit de son côté de développer les grandes infrastructures autoroutières. Les deux projets s’opposent, c’est l’État UMP contre la région socialiste. Mais le Grenelle de l’environnement a rendu ses conclusions : l’État va-t-il pouvoir maintenir ses positions en faveur des autoroutes ? Le schéma directeur de région doit lui être remis en septembre. Il peut tenter de le bloquer, il en a les moyens juridiques. Mais il n’en a ni la légitimité ni les moyens politiques. Nous sommes dans une situation inédite, car c’est la première fois qu’une région est chargée de mettre en place le plan qui va organiser tout ce qui structure son espace dans les vingt ans à venir. La caractéristique du SDRIF est qu’il est prescriptif : il s’impose aux autres documents (Grand Projet de renouvellement urbain, Plan de développement urbain) qui doivent être compatibles avec lui. Nous avons travaillé en amont pour qu’ils le soient.

Comment penser le Paris de demain?

Nous avons besoin d’une véritable innovation architecturale. Je rêve d’une nouvelle forme de ville européenne moderne conjuguant densité et espaces ouverts, où les gens pourraient se croiser dans l’espace public et bénéficier chez eux d’une vraie intimité. La plupart des projets internationaux de nouveaux quartiers urbains se ressemblent et sont soumis à une forme de politiquement correct : la ville n’est pensée que comme un lieu collectif, les architectes se sont détournés de l’intime. Je pense que le lieu de la mixité sociale ne doit pas être le logement mais l’espace public, et que les gens ont besoin de logements isolés en ville, avec par exemple des terrasses, des balcons, qu’on ne peut être un animal social que si on peut disposer d’un lieu vraiment individuel. Et puis la ville doit muter. Les métropoles modernes ont séparé les différentes fonctions avec les logements d’un côté, l’activité de l’autre. Il faut repenser la ville avec les gens qui y habitent, développer un nouvel imaginaire urbain.

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