Au nom de la loi…

Loi sur le racolage passif, projet de pénalisation du client : les structures de prévention réunies pour les Assises de la prostitution le 21 mars s’insurgent contre les dispositifs répressifs qui renforcent l’exclusion et la clandestinité.

Ingrid Merckx  • 20 mars 2008 abonné·es

Vinq ans que la loi fait des ravages. Promulgué le 18 mars 2003, le volet de la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure, texte pénalisant le « racolage passif », n’a cessé de déclencher les foudres des associations de prévention. Dès l’automne 2003, celles-ci dénonçaient ses conséquences en termes de précarisation des prostitué(e)s qui, poursuivi(e)s, ont quitté les centres pour les bordures des villes, les routes nationales, les bois, les forêts… de plus en plus loin de la rue, donc des réseaux de solidarité et des travailleurs associatifs. C’est-à-dire encore plus exposé(e)s aux violences de toutes sortes. « Certains agents de police nous insultent, nous frappent, nous gazent, nous rackettent, confisquent nos matériels de prévention, notre argent et nos affaires personnelles. Nous sommes humiliées dans les commissariats, mises à nu avec fouilles au corps » , résumait une lettre envoyée aux députés et sénateurs par le collectif Droits et prostitution
[^2], à l’occasion d’une manifestation devant le Sénat le 5 novembre 2007.

Illustration - Au nom de la loi…


À Lyon, des prostituées protestent contre leurs conditions de travail, entravées par la loi sur le racolage. MERLE/AFP

À Lyon, une dizaine de camionnettes ont été incendiées. Cocktail Molotov. « Sans surprise, déplore Florence Garcia, présidente de l’association Cabiria, qui développe une action de santé communautaire sur les territoires de la prostitution lyonnaise. Les filles qui travaillaient sur les trottoirs dans le centre se sont retranchées dans des camionnettes qui, petit à petit, se sont entassées dans une même rue près de la gare de Lyon-Perrache. Il y a eu des plaintes, elles ont dû s’exiler dans des lieux plus reculés, donc plus dangereux. Et allez faire enregistrer une plainte quand vous êtes prostitué(e)… »

La situation a empiré l’été dernier, quand Jacques Gérault, tout juste nommé nouveau préfet de la région, a publié un arrêté interdisant de nouvelles rues du quartier Perrache au stationnement des camionnettes des personnes prostituées. Gérard Collomb, le maire socialiste de la ville, a signé. Le 31 juillet, il recevait une lettre des « belles de nuit du quartier Perrache » l’informant qu’elles s’installaient à l’angle de la rue Surville et de la bretelle d’accès au périphérique Sud. « Nous avons choisi cet endroit car il est éloigné des habitations et des établissements scolaires, précisaient-elles *. Nous ne demandons qu’à pouvoir exercer notre activité librement, dans le respect de nos droits et de notre dignité. »* Le 11 mars, deux jours après la réélection de Gérard Collomb à la tête de la ville, un de ses adjoints, Gérard Roth, invitait les riverains à signaler tout acte de racolage passif. Au nom de la loi toujours, qui punit de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération ». En quoi consiste le « racolage passif » ? « C’est laissé à la libre interprétation du fonctionnaire de police, soupire Florence Garcia *. Cette loi autorise toutes les dérives. »* La poursuite de la réclamation de son abrogation sera l’un des enjeux majeurs des Assises de la prostitution qui se tiennent le 21 mars à Paris.

«Les conditions d’exercice de notre activité ne cessent de se dégrader, nous causant des préjudices matériels et physiques considérables », explique le collectif Droits et prostitution, qui organise cette rencontre. Premier(e)s touché(e)s : les migrant(e)s, pour qui la répression ne s’arrête pas à une nuit de garde à vue. « Pour les prostitué(e)s étranger(e)s, le délit de racolage a essentiellement permis de contrôler la régularité de leur séjour et d’entraîner leur jugement et/ou leur éloignement. En outre, depuis 2003, certain(e)s des prostitué(e)s étranger(e)s peuvent être éloigné(e)s du territoire même lorsqu’ils ou elles sont en situation régulière. » La régularisation des travailleurs et travailleuses du sexe sans papiers figurait en tête des revendications du collectif le 5 novembre, avec l’instauration de droits. « Nous ne réclamons pas de réglementation spécifique , précise Malika Amaouche, de Droits et prostitution, mais un alignement sur le droit commun. » « Notamment sur le droit du travail, avec la reconnaissance d’un statut qui pourrait être celui de travailleur indépendant », ajoute Thierry Schaffauser. Travailleur du sexe et militant du collectif, il souhaite voir se créer un syndicat en France, comme en Suède ou en Angleterre. L’idée de ces Assises étant également de préparer les Assises européennes de la prostitution prévues l’année prochaine.

Modèles et contre-modèles dans l’Union : c’est en s’appuyant sur le contre-exemple de la Suède ­ où les lois répressives ont vu diminuer la prostitution de rue mais augmenter le nombre de femmes victimes de trafic ­ que Droits et prostitutions s’alarme d’un projet de loi pénalisant le client en France. Inscrit au programme du parti socialiste pour 2007, ce projet aurait été validé en convention nationale le 22 juin 2007. S’il ne fait pas l’unanimité au sein de ce parti, il trouve des défenseurs à droite comme à gauche. Seuls les Verts s’y sont déclarés opposés. En pénalisant le client, la France se distinguerait de pays comme Chypre, l’Autriche, les Pays-Bas et l’Allemagne, qui ont légalisé la prostitution et la considèrent comme un métier. Et s’alignerait sur ceux qui, comme la Suède, tiennent des positions « abolitionnistes ». C’est-à-dire visant la disparition de la prostitution au nom, souvent, de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Sauf que la pénalisation du client risque au contraire de précariser encore davantage les prostitué(e)s. « Elle entraînerait d’abord une perte de revenus immédiate, tranche Thierry Schaffauser. Ils ont déjà été divisés par deux ou trois depuis la loi sur le racolage, passant de 80 euros la passe à 40, 30, parfois même 10 euros. Elle créerait aussi un climat de peur et favoriserait le développement de nouvelles formes de proxénétisme. Si l’objectif était vraiment de défendre les femmes, on commencerait par protéger les prostitué(e)s ! »

Pour Florence Garcia, ce projet de pénalisation procède de l’éternel discours moralisateur qui stigmatise prostitué(e)s et clients, et anéantit le travail de prévention. « Dans le cadre de la lutte contre le sida, nous nous battons depuis des années pour éviter la stigmatisation des groupes dits à risques. Ce ne sont pas les gens qui sont à risques, mais les pratiques ! » Déjà, la loi sur le racolage a « rendu plus difficile la négociation du préservatif avec les clients, dont les demandes pour des rapports non protégés se sont faites de plus en plus fréquentes ». Et elle a provoqué un éloignement géographique des prostituées. Certain(e)s sont passées de la rue à Internet, où les professionnel(le)s croisent les occasionnel(le)s (voir page suivante). D’autres sont rejeté(e)s dans l’invisibilité. Dès lors, comment entrer en contact avec celles et ceux qu’on ne voit pas ?

[^2]: ANA-Avec Nos Ainées, Arap-Rubis, Autres Regards, Bus des femmes, Scalp-Reflex, Cabiria, Entr’Act, Femmes de droits, Grisélidis, Les Putes, PASTT : Prévention, action, santé, travail pour les transgenres, Act Up-Paris, Arcat, Femmes publiques, Médecins du monde.

Société
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