Bona l’alchimiste

Le bassiste et chanteur Richard Bona, en tournée jusqu’à fin mars, signe un nouveau disque riche d’influences camerounaises, antillaises, jazz et souls.

Denis Constant-Martin  • 20 mars 2008 abonné·es

Ce qui distingue le plus le récent disque de Richard Bona, enregistré sur le vif à Budapest, de la mièvrerie ordinaire des variétés africaines mondialisées, aux mélodies banales et aux rythmes anémiés, c’est qu’il possède ce que l’on pourrait appeler du caractère : des compositions bien tournées ; une assise rythmique rebondissante, souple et dynamique ; un son d’ensemble efficacement construit et tranchant. Son répertoire n’est pas uniforme : on y entend l’influence des musiques camerounaises, des airs à danser antillais, du jazz et de la soul music, qu’il fusionne pour nourrir un langage musical personnel et divers.

Richard Bona réussit une alchimie rare, sans doute parce qu’il est un musicien complet, capable d’être son propre producteur (au sens que ce mot a pris dans l’industrie phonographique) ; il peut ainsi décider pleinement de ses choix esthétiques. Bassiste virtuose qui donne l’allant rythmique, confère relief aux mélodies et en fait ressortir l’harmonie sous-jacente, chanteur éclectique qui sait varier les timbres et les intensités (il n’a pas été directeur musical de l’orchestre de Harry Belafonte pour rien), Richard Bona est aussi arrangeur et sait tirer le meilleur parti d’un ensemble de taille réduite (trompette, guitare, claviers, percussions). La manière dont il combine les parties de trompette et de synthétiseur donne une ampleur telle au son du groupe qu’on croirait parfois entendre un grand orchestre. Ces qualités de musicien, Richard Bona les a acquises, accumulées sur le tas. En jouant dans son pays d’origine d’abord : au Cameroun rural, puis à Douala ; à l’écoute de quelques instrumentistes qui lui ont fourni les bases de son style, à commencer par le bassiste américain Jaco Pastorius. Puis au contact d’autres musiciens, en Europe et aux États-Unis : des jazzmen français (Éric Le Lann), des chanteurs (Jacques Higelin), des artistes africains (Manu Dibango) ou antillais (l’excellent pianiste et chef d’orchestre Mario Canonge), des Américains (Joe Zawinul, Pat Metheny, Michael Brecker).

Parcours éclectique mais infiniment enrichissant, vécu autant dans le plaisir des rencontres que dans le respect de compagnons perçus comme des maîtres, de qui il y a toujours quelque chose à apprendre. Que beaucoup de ces complices mentors aient pratiqué le jazz n’est pas pour rien dans l’épanouissement de Richard Bona : comme Manu Dibango, Fela Anikulapo Kuti ou Ray Lema, autres musiciens africains qui ne se sont jamais laissés déposséder de leur art, il en a tiré une connaissance fine de l’harmonie, le goût des rythmes croisés et superposés, venant renforcer et enrichir les souvenirs musicaux de l’enfance et l’aptitude à la conduite des interactions musicales au sein de l’orchestre. Ce disque très réussi laisse prévoir des concerts qui ne devraient pas l’être moins.

Culture
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