« Intégrer les différences dans une culture commune »

La deuxième session
du « Pari(s)
du vivre ensemble »
a pour thème cette année « École, immigration
et diversité ».
Les explications de Jean-Christophe Attias, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, l’un des initiateurs de cette rencontre.

Marine Raté  • 27 mars 2008 abonné·es

Pensez-vous que «le vivre-ensemble» puisse s’enseigner sans tomber dans des clichés moralisateurs ?

Jean-Christophe Attias : Le problème est de savoir ce que la formule suggère, car elle est désormais accommodée à toutes les sauces. Faut-il en rester à une norme minimale de respect mutuel, de civilité, de cohabitation sans secousses ? À mes yeux, il s’agit de beaucoup plus.

Vivre ensemble, c’est d’abord « vivre avec », refuser les ghettoïsations subies ou volontaires, le moule unificateur et castrateur imposé par des élites aveugles aussi bien que les fidélités prônées par les « communautés » et leurs leaders. C’est un effort non seulement de reconnaissance, mais de connaissance de l’Autre, de son histoire, de sa condition, de ses espérances. Il s’agit de la diffusion de cette connaissance à l’école et hors d’elle. C’est intégrer la différence dans une culture commune, vraiment partagée par tous. C’est promouvoir, comme une richesse à faire fructifier, l’extrême diversité des cultures du monde et de la société dans laquelle nous vivons. Sans jamais renoncer à quelques principes, dont celui de justice sociale. Car la justice est la première condition d’un « vivre-ensemble » authentique.

Le « vivre-ensemble » n’est que l’autre nom de la citoyenneté moderne en cette ère de mondialisation. Si cela s’enseigne ? Mais c’est justement l’objet de tout enseignement digne de ce nom ! Et que notre société soit inique, cloisonnée et rétive au partage présente des raisons pour y travailler.

Quels sont l’objectif et l’enjeu de cette manifestation?

Cette année, le coeur du débat est l’école. Esther Benbassa, moi-même et l’équipe de jeunes enseignants et « citoyens-chercheurs » qui nous entourent, Vincent Vilmain, Stéphanie Laithier et Sébastien Ledoux, avons voulu poser quelques questions simples. Comment convertir la diversité à l’école ­ souvent présentée comme un problème ­ en tremplin éducatif, en moyen de lutte contre l’échec scolaire et d’accès à l’égalité des chances ? Comment promouvoir une pratique pédagogique non discriminatoire, qui, valorisant les cultures des élèves, leur redonne confiance en eux et leur permette d’affronter mieux armés les défis de leur présent et de leur avenir ? Comment concilier les exigences de la mémoire et de l’histoire, affirmations identitaires et intégration républicaine ?

Des intervenants divers, politiques, associatifs, éducateurs, chercheurs et intellectuels, vont nous aider à y répondre. Et, bien sûr, le débat se déploiera autant dans la salle qu’à la tribune… Il ne s’agit pas seulement de dire ce qui doit être fait, mais de faire le point sur ce qui fonctionne déjà.

À l’Unesco, le 19 mars, on a découvert la Vie avant la mienne , un film où des collégiens de Grigny interrogent leurs parents sur l’histoire de leur migration, ainsi qu’une exposition de photos réalisée avec des élèves de Villiers-le-Bel. Le 2 avril [^2] , à la Sorbonne, ce seront les programmes, les manuels, les pratiques dans la classe qui seront interrogées, le tout s’achevant par un concert du Tres Colores Trio.

Quel bilan tirez-vous de la manifestation précédente?

Un « Pari(s) du vivre-ensemble », à lui seul, ne révolutionnera pas le monde… Mais cela a le mérite de faire résonner des voix trop peu entendues et de provoquer des débats, parfois houleux mais toujours constructifs. Esther Benbassa et moi avons ouvert ce « Pari(s) » en 2004, en réunissant plus de mille personnes à la Sorbonne pour une grande journée sur les relations judéo-musulmanes. En 2006, ce fut la première édition du « Pari(s) du vivre-ensemble », semaine de débats, de spectacles, d’initiatives pédagogiques en divers lieux de Paris.

Cette année, cette seconde édition est consacrée à l’école et à la diversité. Le bilan, nous l’effectuerons plus tard. Ce qui importe, c’est la réflexion et l’action collectives qui s’inscrivent dans la durée. Elles ont déjà porté leurs fruits : un ouvrage sur Juifs et musulmans [^3], un collectif offrant aux élèves, aux parents et aux enseignants les moyens de comprendre le « fait religieux » [^4], et un recueil d’études sur la question minoritaire, oeuvre de doctorants français et européens [^5] (voir Politis n° 993).

Pensez-vous que la société montre des signes inquiétants de «mal-vivre-ensemble»?

Certainement. Nous assistons à des pratiques discriminatoires, des relégations spatiales, des injustices sociales et des inégalités criantes d’accès à la culture, qui sont le quotidien de millions de nos concitoyens. Nous avons parfois l’impression que tout est à faire. Cela peut être décourageant. Mais aussi, et surtout, très stimulant dans la mesure où, sur le terrain, des individus, des associations et des mouvements divers travaillent au jour le jour.

[^2]: Le 2 avril, à la Sorbonne, à 9h15, seconde journée du «Pari(s) du vivre-ensemble» sur «Comment écrire et enseigner la pluralité culturelle à l’école ?».

[^3]: La Découverte, 2006.

[^4]: Des cultures et des dieux, Fayard, 2007.

[^5]: L’histoire des minorités est-elle une histoire marginale? PUPS, 2008.

Société
Temps de lecture : 4 minutes

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