La femme qui pleure

En Chine, où l’on ne plaisante guère avec la tradition des pleureuses, Liu Bingjian fricote avec l’immoralité.

Christophe Kantcheff  • 27 mars 2008 abonné·es

La jeune madame Wang aurait de quoi pleurer. Pour survivre, elle vend des CD et des DVD piratés à Pékin, où elle est mariée à un bon à rien qui dépense l’argent du ménage dans le jeu. Elle récupère même, contre son gré, un enfant abandonné, juste avant que son mari ne soit jeté en prison pour avoir tué, accidentellement, un de ses partenaires. Mais madame Wang ne s’apitoie pas sur son sort. Elle fuit en province, où elle se débarrasse de l’enfant en le plaçant dans une famille, et retrouve son premier petit ami, à la tête d’un magasin de pompes funèbres, qui lui propose une association particulière : découvrant ses talents de pleureuse, il l’encourage à se faire engager lors d’obsèques pour honorer la mémoire des morts en ne mégotant pas sur ses larmes.

Quelle Chine montre les Larmes de madame Wang , de Liu Bingjian ? Une Chine sociologiquement contrastée entre Pékin, ville de débrouille et d’anonymat, et la petite ville de province où la liaison entre madame Wang et son ancien ex-amant, marié, fait scandale, mais où connaître un nouvel élan dans une vie accidentée est possible. Liu Bingjian y ajoute un point de vue grinçant et cultive une certaine immoralité, qui éloigne le film de la chronique strictement naturaliste, en jouant avec une tradition qui n’est certainement pas un sujet ordinaire de plaisanterie en Chine : celle des pleureuses.

Poussée par la nécessité, madame Wang y excelle avec un cynisme assumé, au grand contentement des familles accablées de chagrin. C’est que la jeune femme a une expérience de comédienne qui fait ici merveille. Liu Bingjian pousse loin la représentation des conventions sociales en tant qu’elles sont des illusions. Ceux qui s’en servent ne sont pas dénués de sentiments pour autant. Quand madame Wang vient rendre visite à son mari dans sa prison, elle est réellement bouleversée. Mais, pour elle, l’issue de cette histoire aura un goût amer.

Il aura fallu pas moins de six ans pour que les Larmes de madame Wang , présenté à Cannes en 2002, sorte en France. Bizarreries et difficultés de la distribution. Ce n’est pas en tout cas pour manque de talent.

Culture
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