La gauche déferle, la droite n’entend rien

Jamais les municipales et cantonales n’avaient à ce point étendu l’emprise territoriale de la gauche. Face à ce raz-de-marée, le gouvernement nie tout vote sanction et prétend accélérer le rythme de ses réformes.

Michel Soudais  • 20 mars 2008 abonné·es
La gauche déferle, la droite n’entend rien

Lundi matin, on ressentait comme un soulagement au siège de l’UMP, après le second tour des élections municipales et cantonales. « Ce n’est pas une victoire mais c’est loin d’être une déroute » , affirmait Dominique Paillé. Pour le « monsieur élections » du parti de Nicolas Sarkozy, le « scénario catastrophe » , qui incluait la perte de grandes villes comme Le Havre ou Marseille, a été évité. De justesse. Jean-Claude Gaudin conserve certes la cité phocéenne, mais avec une opposition renforcée, qui réalise son meilleur score depuis vingt-cinq ans (47,75 %). Malgré cela, c’est bien le seul motif de satisfaction auquel la droite peut se raccrocher pour faire bonne figure. Piètre cache-misère qui dissimule mal la litanie des villes passées à gauche.

Illustration - La gauche déferle, la droite n’entend rien


Pierre Cohen, candidat socialiste à Toulouse, distribue des tracts avec Magyd Cherfi, le 12 mars 2008. CABANIS/AFP

Rarement, on a vu défaite aussi cinglante. Sauf peut-être en 1983, quand la gauche au pouvoir avait perdu 31 villes de plus de 30 000 habitants. La droite parlait alors d’une « déculottée ». Vingt-cinq ans plus tard, comme le dit crûment le socialiste Pierre Moscovici, « la droite s’est pris une branlée absolument mémorable » et d’une ampleur au moins aussi forte.

Le décompte des conquêtes de la gauche des 9 et 16 mars est éloquent. La mémoire électorale n’a pas souvenir d’une France comptant autant de villes et de départements gérés par la gauche. Alors que le PS s’était fixé pour objectif de reprendre à la droite 30 villes de plus de 20 000 habitants ­ histoire de faire oublier les pertes de 2001 ­, la gauche en gagne 49 et n’en perd que 6 ! Elle devient ainsi en capacité de gérer une majorité de villes. Et plus les villes sont importantes, plus sa suprématie est patente : parmi les 37 villes de plus de 100 000 habitants, la droite en détenait 21 (dont Marseille, Toulouse, Nice, Bordeaux et Strasbourg) avant les municipales, la gauche 16 (dont Paris, Lyon, Nantes, Lille, Montpellier et Rennes). Elle est désormais aux commandes de 25 de ces villes, l’UMP n’en conservant que 12.

Le bilan des élections cantonales est tout aussi positif. La gauche qui était, depuis 2004, à la tête de 51 départements sur 100, devrait en gagner au moins 7. Au second tour, les socialistes, communistes, divers gauche, radicaux de gauche et Verts totalisent plus de 51 % des suffrages, soit 4 points de plus qu’en 2004, contre un peu moins de 44,5 % pour l’UMP, le Nouveau Centre et les divers droite. Non seulement la gauche garde tous les départements qu’elle détenait, renforçant même ses positions dans ceux où sa majorité sortante était faible comme dans le Cher, le Doubs, la Drôme, l’Oise, les Pyrénées-Orientales, la Seine-et-Marne ou l’Essonne, mais elle emporte l’Allier, la Corrèze, l’Indre-et-Loire, le Lot-et-Garonne, les Deux-Sèvres, la Somme et le Val-d’Oise.

Dans l’Ain, où la droite régnait sans partage depuis trente-deux ans, la gauche emporte une majorité de cantons (23 sur 43), confirmant le tournant pris au premier tour par le chef-lieu du département, Bourg-en-Bresse, qui avait élu un jeune maire socialiste, Jean-François Debat ; mais le grand nombre d’élus avec l’étiquette divers-gauche (17) n’assure pas forcément le basculement du conseil général. La Côte-d’Or pourrait également changer de majorité : gauche et droite y sont à égalité avec 21 sièges chacune, et tout dépendra d’un élu MoDem d’un canton rural. Quatre autres départements sont incertains, du fait d’élus sans étiquette qui ne se sont pas encore prononcés : les Hautes-Alpes, l’Aveyron, la Charente-Maritime et les Pyrénées-Atlantiques. Il faudra attendre l’élection du président dans chaque assemblée départementale, le 20 mars, pour connaître la nouvelle géographie politique des départements.

« Jamais il n’y a eu en un seul renouvellement une telle poussée , se félicite François Hollande. Jamais la gauche n’a été en situation de diriger 60 conseils généraux depuis les lois de décentralisation de 1982. C’est un niveau sans précédent. »

Cette forte poussée de la gauche aura un impact sur l’équilibre politique du Sénat, lors du renouvellement du tiers de la Chambre haute en septembre. S’il est encore tôt pour des pronostics détaillés, les compteurs de l’UMP et du PS s’accordent à penser que la progression de la gauche ne devrait pas concerner plus d’une dizaine de sièges. Pas de quoi ravir la présidence, mais assez pour rendre un peu plus compliquée l’obtention de la majorité des 3/5 requise pour modifier la Constitution ­ ce qui reste un des projets de Nicolas Sarkozy cette année. Compte tenu des départements soumis à renouvellement, les mêmes estiment que le scrutin de dimanche prochain aura plus d’incidence en 2011, quand le renouvellement sénatorial se fera non plus par tiers mais par moitié.

Le succès de la gauche est toutefois entaché par une nouvelle abstention record. Après la piètre participation du premier tour, les électeurs ne se sont globalement pas mieux mobilisés dimanche. Dans les communes de plus de 3 500 habitants, le taux de participation pour la métropole s’élève à 61,66 % contre 62,18 % en 2001. Le gouvernement n’a pas manqué de souligner cette faible mobilisation électorale et le succès de 18 des 22 ministres candidats pour nier tout rejet de sa politique. « Quand il y a un vote sanction, on vote massivement » , résume le secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, Roger Karoutchi. Qui décèle dans l’abstention « une impatience » et en conclut la « nécessité d’amplifier les réformes » . Un refrain repris en choeur et martelé dès dimanche soir par tous les ministres et dirigeants de l’UMP.

L’analyse d’un scrutin est toujours une bataille politique. Tout est bon pour nier le moindre désaveu de la politique gouvernementale. Jusqu’à l’absurde. Le résultat des municipales ne serait ainsi qu’un « rééquilibrage » entre la droite et la gauche, expliquait Patrick Devedjian à la fermeture du scrutin. Une analyse reprise aussi par la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie. Est aussi invoqué un sondage CSA- le Parisien pour expliquer que les électeurs (à 70 %) ont « d’abord » voté « en fonction de considérations purement locales » [^2]
. Ce qui, pour protéger le Président et son gouvernement, revient à suggérer que tous les battus étaient mauvais ou incompétents ­ on ne savait pas que l’UMP en comptait autant !

François Fillon juge « malvenu de tirer de ce scrutin des leçons nationales » , estimant que le vote des Français ne doit pas être « instrumentalisé » . C’est pourtant l’exercice auquel se livrent ses ministres, persuadés que le scrutin traduit « une impatience » à laquelle le gouvernement doit répondre en agissant pour « traduire plus rapidement en résultats les réformes » , selon le mot de Laurent Wauquiez, son porte-parole. Ce que résume bien Brice Hortefeux, qui a renoncé à se présenter : « Il faut poursuivre les réformes plus loin, plus vite et plus fort. »

Après avoir imposé un traité européen quasiment identique au traité constitutionnel rejeté lors du référendum de 2005, la droite sarkozyste fait décidemment de la surdité face à l’adversité des urnes son signe distinctif. « Ça va mal finir » , prophétise François Léotard dans un essai récent qui porte ce titre. C’est à craindre.

[^2]: Que les considérations locales priment n’exclut nullement la volonté de sanctionner aussi la majorité gouvernementale.

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