Trombines en coulisses

Pour boucler sa trilogie sur le monde de la musique, Marie-Claude Threilhou s’immerge au cœur de l’Orchestre de Paris, à l’heure des derniers ajustements avant le concert.

Ingrid Merckx  • 20 mars 2008 abonné·es

«Jouez ça une fois, deux avant E, avec le si…» Un peu ésotérique pour les néophytes. C’est un parti pris : Marie-Claude Treilhou plonge au coeur de l’Orchestre de Paris. En immersion immédiate. « Pas plus long le subito piano *. »* La cinéaste est comme « embedded » . Une présence absente : spectateur privilégié, introduit, mais jamais intervenant. Il n’y a pas de commentaire dans ce film, sinon celui de l’animatrice de Radio classique dans la cabine d’enregistrement. Pas d’explication, pas de présentation des gens ou des oeuvres. La caméra s’en tient à glisser un oeil et une oreille dans les coulisses de Mogador, où l’orchestre symphonique est en résidence. Alternant scènes de répétitions et scènes de bureaux, Marie-Claude Treilhou soigne ses angles, dans un couloir où passe l’équipe technique, dans la loge du pianiste Christoph Eschenbach, ou sur scène, zoomant sur le pupitre des vents ou attrapant l’envol des archets de contrebasses. Couleurs d’orchestre est plus un exercice de contemplation que de compréhension, invitant à mesurer l’élégance des gestes et des sons, et les rouages de cette talentueuse machine.

C’est aussi un film sur le travail d’un orchestre. Pas à n’importe quelle étape : juste avant le concert. Pas question d’assister au labeur du déchiffrage et de la mise en place. C’est l’heure des derniers ajustements de tempi et de nuances… Couleurs d’orchestre est l’ultime opus d’une trilogie musicale, son volet sur l’aboutissement, après En cours de musique, sur l’enseignement d’un professeur de piano, et les Métamorphoses du choeur, sur une chorale amateur. Marie-Claude Treilhou filme l’Orchestre de Paris comme un corps constitué, qui vit, bouge, intègre de nouveaux éléments… Mais pas comme un corps social, avec ses hiérarchies, ses luttes des classes, ses individus. C’est un peu la limite du film. D’où viennent ces gens ? Qui sont-ils ? Que vivent-ils ? Mystère. À peine voit-on quelques photos d’enfants apparaître dans le couvercle d’une boîte de violon, comme d’autres en posent sur leur bureau. L’orchestre s’incarne, mais pas ses membres.

Cela aussi relève du parti pris, affiché dès le début du film, qui démarre avec le recrutement d’un violoncelliste. Le jeune homme obtient l’unanimité du jury d’audition. Le ton est donné : tous les musiciens de l’orchestre sont exceptionnels. Comme le lieu où ils se trouvent, leur quotidien, et ceux ­ personnel technique et administratif ­ qui les accompagnent dans l’ombre. Ce n’est pas l’histoire particulière de ces exceptions qui intéresse la cinéaste, mais comment la somme de ces exceptions parvient à ce degré de raffinement, à cette harmonie collective. « S’il vous plaît, mesure 291, trop de crescendo. » Respectueuse (presque trop), la caméra se déplace du côté scène au côté jardin. Des lentilles de contact oubliées par le chef italien qui débarque de Tel-Aviv sans sa valise à ce passage si difficile pour les premiers violons dans le scherzo de la Quatrième Symphonie de Schumann. Des questions sur le « matériel » (les partitions), aux prescriptions d’Édith Canat de Chizy, compositrice qui met une dernière touche in vivo à son concerto pour alto. De l’oeuvre quand elle n’appartient encore qu’à l’orchestre jusqu’au moment où elle est donnée. Où l’orchestre la donne. « Ce soir, 2 e concerto de Brahms pour piano. » Avant d’enchaîner sur une autre. C’est son boulot.

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