Un suffrage presque universel

Alors que le suffrage universel a 160 ans, les résidents étrangers non communautaires n’ont toujours pas le droit de vote. Leur accorder serait un pas vers une réelle souveraineté populaire.

Paul Oriol  • 6 mars 2008 abonné·es

Par le décret du 5mars 1848, la IIe République a instauré, pour la première fois à une échelle nationale, le suffrage universel. En réalité, elle a fait un pas important vers un suffrage réellement universel. Auparavant, il fallait payer un impôt, le cens , pour être électeur ou candidat (200 et 500 francs en 1848). La suppression de ce suffrage censitaire a permis la participation de tous les Français majeurs de 21 ans, et fait passer le corps électoral de 250 000 à 7 800 000 personnes. Mais les Françaises ont été « oubliées ».

La Nouvelle-Zélande a été le premier pays à reconnaître le droit de vote aux femmes, en 1893, suivie par la Finlande (1906), l’Autriche (1918), la Belgique (1919), la Turquie (1930), l’Espagne, la Pologne (1931), etc. En France, malgré les campagnes, le droit de vote des femmes, proposé par la gauche, a été bloqué à cinq ou six reprises par le Sénat sous la IIIe République. Finalement, il a fallu 96 ans pour que l’égalité citoyenne leur soit reconnue, par l’ordonnance d’Alger du 21 avril 1944, confirmée par la Constitution de 1946. En 1974, la majorité est abaissée de 21 à 18 ans comme dans beaucoup de pays (16 ans en Autriche depuis 1987).

Nouvelle étape avec le traité de Maastricht de 1992, qui attribue la citoyenneté européenne à toutes les personnes ayant la nationalité d’un État membre de l’Union. Les citoyens résidant dans un pays dont ils n’ont pas la nationalité peuvent participer, comme électeur et comme candidat, aux élections municipales et européennes, dans leur pays de résidence ou dans celui dont ils ont la nationalité. Ainsi, les personnes concernées ont pu participer aux élections européennes en 1994, 1999, et 2004 et pourront participer à celles de 2009. Pour les municipales, la France a été le dernier pays de l’Union à mettre ce droit en application, en 2001.

Le traité de Maastricht a tronçonné la citoyenneté, créant une discrimination entre les « bons » étrangers et… les autres.

Désormais, des personnes qui n’ont pas la nationalité française participent à la définition de la politique nationale par l’élection indirecte des sénateurs, certains élus municipaux faisant partie du collège électoral des sénateurs. Certes, les citoyens de l’Union ne peuvent être ni maire, ni maire adjoint, ni grand électeur. Mais ils peuvent représenter la France au Parlement européen.

Cette discrimination en fonction de la nationalité est évidemment mal ressentie par les ressortissants extracommunautaires. Et au-delà, selon les sondages que publie régulièrement la Lettre de la citoyenneté depuis 1994, avec la même question sur l’extension du droit de vote pour les élections municipales et européennes aux résidents non communautaires. Dans les années 1994 à 1996, le taux de réponses favorables tournait autour de 30 %, il est actuellement supérieur à 50 %.

D’autres sondages montrent que l’opinion est plus ouverte pour les municipales (63 % de réponses favorables) que pour les législatives (41 à 43 %) ou la présidentielle (37 %).

Bien avant le traité de Maastricht, il y a eu des élus étrangers, au moment de la Révolution ou de la Commune, et la Constitution de 1793 le prévoyait mais elle n’a jamais été appliquée. La participation de résidents étrangers aux élections n’est pas exceptionnelle. Hervé Andrès [^2]
a étudié la situation dans 192 États membres de l’ONU et a souligné que certains étrangers pouvaient participer à certaines élections dans 64 pays.

Sur les 27 pays de l’Union, dix, dont la France, assurent le service minimum, l’application du traité de Maastricht. D’autres ont donné le droit de vote municipal ou local à tous les étrangers, sans éligibilité (cinq pays) ou avec (sept pays), et dans quatre pays sous condition de réciprocité (c’est en fait peu appliqué). Au Royaume-Uni, tous les résidents ayant la nationalité irlandaise ou celle d’un pays membre du Commonwealth (53 pays) ont le droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections.

Quant aux Français résidant à l’étranger, ils peuvent participer à certaines élections dans une vingtaine de pays en plus de ceux de l’Union européenne, et même aux élections nationales au Chili, en Nouvelle-Zélande, en Uruguay et au Venezuela !

L’extension du droit de vote aux résidents étrangers, quelle que soit leur nationalité, serait un nouveau pas vers un suffrage réellement universel. Ce ne serait pas une atteinte insupportable à la souveraineté nationale : le Royaume-Uni ou la Nouvelle-Zélande n’ont pas perdu la leur ; ce serait un pas vers la souveraineté populaire et la démocratie.

[^2]: Le droit de vote des étrangers, état des lieux et fondements théoriques, HervéAndrès, thèse pour le doctorat de sciences juridiques et politiques, université Paris-Diderot, février2007, téléchargeable en ligne.

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