Assumer le passé

À quinze jours des élections législatives, deux associations des droits de l’homme dressent un portrait préoccupant de la société serbe, et appellent l’Europe à soutenir leur travail de mémoire et d’analyse.

Xavier Frison  • 24 avril 2008 abonné·es
Assumer le passé
© [Humanitarian Law Center](www.hlc-rdc.org) : www.hlc-rdc.org [Youth initiative for human rights](www.yihr.org) : www.yihr.org

L’heure est au profil bas pour les ONG et autres associations de défense des droits de l’homme serbes. Soupçonnées de servir les intérêts occidentaux et de trahir la nation, celles-ci sont ostracisées, dans un contexte local douloureux pour les patriotismes. Surtout quand elles se permettent de ressortir des cartons soigneusement remisés de la mémoire collective la responsabilité serbe dans les crimes de guerre. Ou qu’elles choisissent de défendre les droits de l’homme. Dans le cadre d’une tournée des popotes institutionnelles européennes, deux de leurs représentants répondaient, le 10 avril à Paris, à l’invitation du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD).

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Vasvija Mehic, Bosniaque de Srebrenica, a perdu son mari et ses quatre fils lors de la guerre de Bosnie. Baukcici/AFP

Natasa Kandic, la directrice du Humanitarian Law Center (HLC, Centre de droit humanitaire en français), exécrée en Serbie pour avoir assisté à la proclamation d’indépendance de la nation kosovare le 17 février, prévient
d’emblée : « La société serbe refuse d’assumer les crimes commis pendant la guerre », entre 1991 et 1995 dans les Balkans ou en 1999 au seul Kosovo. « Nous voulons pouvoir parler librement de ces crimes, mais nous devons faire face à une opinion publique très récalcitrante. Notre message gêne. » Plus encore aujourd’hui : la question de l’indépendance du Kosovo agit comme un écran de fumée et occulte le débat sur les exactions des années 1990. En parallèle, la montée en puissance du Parti radical ne facilite pas la tâche du HLC, qui soutien le processus du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et représente les victimes au cours des procès. Les résultats des élections législatives anticipées du 11 mai ne devraient pas changer la donne : « Je ne crois pas qu’une victoire du Parti démocrate de Boris Tadic [le président serbe] change quelque chose, analyse Natasa Kandic. Le Parti radical est déjà très puissant et contrôle les institutions, la police, les agences d’information, beaucoup de médias. » Pour la militante, publiquement menacée par certains médias et des hommes politiques de premier plan, « même si le Parti démocrate voulait vraiment arrêter des criminels de guerre comme Ratko Mladic, il n’en aurait pas les moyens » . Comme, en sus, le président Tadic a choisi de coller à la position du Parti radical en refusant de reconnaître l’indépendance du Kosovo, la situation paraît figée. Pourtant, *« il est primordial de construire de bonnes relations avec nos voisins. Il faut arrêter de haïr les autres ».

Andrej Nosov, président du Youth Initiative for Human Rights (Initiative des jeunes pour les droits de l’homme), mise justement sur l’ouverture de la société civile serbe à ses voisins proches et à l’Europe pour changer les mentalités. L’association cherche à sortir « les 80 % de jeunes qui ne sont jamais partis à l’étranger » de « cette ambiance serbe ».

« Les extrémistes qui ont récemment attaqué des ambassades à Belgrade sont des jeunes, la plupart radicaux. Pourquoi ? Ils n’ont aucune chance de voir quelque chose de différent, ils sont baignés dans une atmosphère où on leur dit que le peuple serbe est le meilleur » . Et le jeune homme de militer pour une suppression des visas qui empêchent aujourd’hui les Serbes de se déplacer librement dans les 27 pays de l’Union. « L’Europe doit distinguer le volet politique du volet civil dans son approche de la Serbie. Le Parti radical ne base pas son succès sur le racisme ou la xénophobie, mais sur la promesse de créer un pays normal, débarrassé de sa corruption, doté d’institutions qui fonctionnent. Le vote radical n’est pas nationaliste, mais “social”. Il faut punir les hommes politiques corrompus et ceux qui ne veulent pas aider à résoudre les crimes de guerre, sans punir les citoyens. »

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