Ca marche pour l’école

Tandis que Xavier Darcos maintient les suppressions de postes dans les collèges et lycées à la rentrée, les mobilisations sont reconduites pour faire entendre les revendications. Retour sur la manifestation du 10 avril à Paris.
( *Retrouvez en accès libre le **reportage** de Virginie Maillard pour Politis.fr sur la manifestation lycéenne du 15 avril, en sons et en images.* )

Ingrid Merckx  • 17 avril 2008 abonné·es

Rarement on aura vu lycéens et collégiens défendre aussi vigoureusement l’école. Ils étaient plus de 50 000 dans les rues, jeudi 10 avril, 35 000 à Paris, 19 000 selon la police. Élèves, enseignants, parents d’élèves, faisant converger les luttes locales vers la capitale pour protester contre les suppressions de postes à la rentrée. « L’école est un droit, laissez-nous le choix », disait une banderole en route vers le ministère de l’Éducation. Le droit de ne pas être 40 par classe. Le droit de choisir ses langues étrangères, ses options, sa filière, son orientation. Le droit d’être encadré par des enseignants et des surveillants. Le droit de bénéficier de soutien scolaire. Le droit de participer à des projets d’établissement. Et le droit de s’indigner de la surdité du ministère.

Illustration - Ca marche pour l’école


Le 11 avril, occupation du collège Jules-Vallès, à Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne. BAPTISTE/AFP

C’est sous l’étiquette des établissements que marchaient la plupart des manifestants. « En toute indépendance. » Mais brandissant les noms de leur bahut comme des couleurs de maillot. Élèves et enseignants en rangs serrés. Gonflés à bloc par des semaines de mobilisation. Certains élèves tenant à dire qu’ils s’étaient mobilisés d’eux-mêmes; d’autres, que les profs leur avaient expliqué la situation. Mais nul besoin d’avoir le bac, ni même le brevet, pour comprendre le problème : comment travailler plus et mieux avec moins ? Le 11 avril au matin, le ministre annonçait qu’il maintenait les 11 200 suppressions de postes. Des nouvelles journées d’action étaient prévues le 15 avril, puis le 17. En souhaitant que les vacances ne viennent pas balayer tous ces espoirs levés.

Lycée Léonard-de-Vinci, Melun (Seine-et-Marne)

13 postes supprimés sur 177. 10 % d’élèves en moins à la rentrée. Dans ce lycée général, technique et professionnel, les suppressions touchent un peu toutes les matières : histoire-géo, anglais, physique, lettres classiques… Détail à lire sur le ventre des silhouettes en carton brandies par les enseignants dans le cortège qui vient de passer le carrefour de Port-Royal. « Ça fait deux semaines que le lycée est bloqué, explique une prof d’anglais. On a obtenu trois retours de postes. Le maire nous a soutenus. C’est déjà ça. Mais nous redoutons la deuxième vague, l’année prochaine. » « Près de 5 500 heures supplémentaires doivent compenser les suppressions de postes en 2008, explique un professeur d’informatique. On ne peut pas nous obliger à en faire plus d’une. Mais, si on refuse, des élèves vont se retrouver sans professeur. » « Les premiers à en pâtir, ce sont les projets d’établissement et les projets pédagogiques, reprend sa collègue, on ne pourra plus assurer le « SOS matière » qu’on organise à l’heure du déjeuner, par exemple. »

Le « travailler plus pour gagner plus » les laisse perplexes : « Les profs ont toujours fait des heures sup, mais c’est la première fois qu’elles doivent servir à supprimer les postes des collègues. On veut bien travailler plus mais pas au détriment des autres ! »

Mise en concurrence des enseignants : « En principe, ce sont les derniers arrivés qui partent les premiers, mais dans les faits, ça ne se passe pas tout à fait comme ça. » Et mise en concurrence des établissements : « Le ministère est rusé : il a annoncé d’abord les mesures frappant les lycées, puis les collèges, bientôt le primaire. Du coup, les réactions sont dispersées. Pire : en Seine-et-Marne, les plus mobilisés parviennent à obtenir quelques retours de postes. On n’a donc presque pas intérêt à se regrouper ! » Le nombre de surveillants est passé de 12 à 9 dans cet établissement : « Pourtant, des adultes en moins dans un lycée, cela veut dire de la violence en plus. » Aucun de ces enseignants n’est syndiqué. Et aucun ne s’était jamais mobilisé ainsi. « C’est la première fois que des profs bloquent le lycée. Dans tout le département, c’est pareil : du jamais vu ! »

Lycée Camille-Claudel, Vauréal (Val-d’Oise)

7 suppressions de postes sur 120. 30 élèves de moins à la rentrée. « On avait bac blanc aujourd’hui, on est quand même venus ! » , lance fièrement une élève de première. « Tous les lycées de Cergy étaient bloqués ce matin sauf le nôtre, ajoute sa camarade. Finalement, nos profs nous ont permis d’aller manifester aussi. » Camille-Claudel est bloqué depuis trois semaines. Ces élèves en sont à leur sixième manif en quinze jours *. « Nous, c’est un lycée arts plastiques ; plein d’options artistiques risquent d’être supprimées »* , expliquent-elles. Et linguistiques, comme la classe de japonais. Elles redoutent aussi le gonflement des effectifs : de 35 élèves par classe à 40. Une enseignante de SVT explique qu’étant arrivée en 2007, elle compte parmi les « supprimés ». « On aurait pu s’arranger avec des collègues en découpant des postes, mais le rectorat ne veut rien savoir. »

Lycée Senghor, Magnanville (Yvelines)

Jérémie, élève en seconde, porte un panneau sur le ventre : 6 profs en moins. En maths, en physique … « Les Yvelines sont très touchées, le mouvement est parti de notre département, rappelle-t-il. Senghor est bloqué depuis trois semaines, on se relaie devant le lycée et d’autres établissements, comme La Vaucouleurs ou Saint-Ex, à Mantes-la-Jolie. » Trois semaines sans cours, mais trois semaines à se mobiliser, informer, tracter, aller aux manifs à Versailles et à Paris. « Nos parents nous soutiennent , affirme Sarah, s’ils ne travaillaient pas aujourd’hui, ils manifesteraient avec nous ! » « Les profs dépriment, renchérit Jérémie. On a besoin de cours de langue, on a besoin de soutien scolaire. Pourquoi faire des économies sur l’éducation ? »

Collège René-Cassin, Noisy-le-Sec

(Seine-Saint-Denis)

« On est un tout petit établissement : 350 élèves en collège + lycée, raconte une mère d’élève. 12 postes vont être supprimés alors que les élèves ici sont plutôt en difficulté. Ils ont besoin de travailler en effectifs réduits. Mais les profs jonglent avec les plannings : ils font déjà du soutien scolaire gratuitement de 12 h à 14 h et de 17 h à 18 h. Où vont-ils mettre des heures supplémentaires ? » Les parents d’élèves de Cassin sont allés deux fois rencontrer l’inspection générale. En vain : « Pourquoi ne pas avoir consulté les enseignants et les parents avant de décider cette réforme ? Et pourquoi refuser le dialogue à présent ? C’est quand même de la future France qu’il s’agit ! », s’enflamme-t-elle en désignant la forêt de pancartes qui progresse vers Montparnasse.

Collège Robert-Doisneau, Paris XIe

5 postes supprimés sur 52. Les classes vont gonfler. Pour Myriam, élève en troisième : « Déjà, à 25, c’est le bordel, alors à 50 ! » Bizarre de voir autant d’ados défendre l’école ? « On pense à l’année prochaine, rétorque-t-elle. On est là à cause des suppressions de postes mais aussi à cause du passage du bac pro à trois ans. Quand on va en pro, c’est souvent qu’on a des difficultés. Et un élève qui a des difficultés, il ne va pas faire en trois ans ce qu’on lui demandait en quatre ! » Elle a choisi d’aller en seconde générale. « Mais peu importe , on est là pour les autres, pour tout le monde ! »

La tête était déjà devant le ministère que la queue de la manifestation quittait à peine le Luxembourg.

Société
Temps de lecture : 6 minutes