Chao sauce rumba

En vingt ans, Manu Chao a imposé une couleur, un ton, un univers. Son dernier album, « Radiolina », toujours épicé, fait le point sur ses coups de cœur.

Ingrid Merckx  • 30 avril 2008
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« Manu Chao ? C’est sympa, j’aime bien… Mais c’est un peu toujours la même chose… »

À ceux qui le regardent d’un peu loin, il faudrait dire de reprendre les vingt ans de morceaux du bonhomme, depuis la Mano Negra jusqu’à Radio Bemba. Vingt ans de chansons qui se croisent, s’emmêlent, se remixent. Combien de versions de « Bongo bong » ? De la « Despedida » ? Ou de « Clandestino » ? Selon l’enregistrement, seul ou live, qu’il joue en concert, acoustique ou sound system… Vingt ans de route. Ses morceaux, c’est un peu comme des frères dont on ne sait plus toujours les prénoms dans ­l’ordre : un peu semblables, mais un peu différents. Une même matrice ? Mais c’est tant mieux. Le signe qu’il a imposé une couleur, un ton, un style, un univers. Et qu’il construit patiemment quelque chose. Y’a pire, surtout quand on refuse comme lui le diktat du neuf.

Manu Chao, s’il arrive à rester lui-même , c’est déjà pas mal. À 46 ans, « il vit en bonne santé en Catalogne, et ne se demande plus s’il fait du rock ou du flamenco. Il a bien conscience de faire du Manu Chao », explique l’écrivain et acteur Jacky Berroyer dans un texte accompagnant Radiolina , dernier album sorti, pour lequel le musicien entame une tournée en France, en mai et juin [[Le 29 mai à Toulouse, le 1er juin à Marseille, les 11 et 12 à Paris, le 19 à Vienne. Autres dates sur : www.manuchao.net
La Radiolina, Because Music.]]. C’est quoi « du Manu Chao » ? Un mélange épicé de rock, reggae, rumba et ska. Guitares, ­cuivres et percus en force. Goûtant les ajouts de tintements, sonneries, sirènes, extraits de sons enregistrés dehors, à la radio, sur un répondeur, dans la rue… Samplant et superposant sa voix et celles des autres, comme s’ils étaient plusieurs à se parler, à se répondre. Mixant l’espagnol, l’anglais, le français et le portugais. Pas de la chanson à texte. Plutôt des petits poèmes ou des comptines, faussement candides, vraiment indignés ou profondément mélancoliques. Manu Chao, ce serait une écriture en anaphores, reprisant des bouts de phrase, des mots, des rimes, pour les faire rebondir, ricocher d’une strophe l’autre, d’une chanson l’autre (« Calavera no llora », « Bienvenida Tijuana », « Lagrimas de oro », « Todo es mentira », etc.). Une musique de mélodies, d’échos et de clins d’œil, entre la danse, le murmure et le pogo. Une façon d’avancer en osant se recycler, remanier ses motifs et ses métaphores comme un musicien de jazz reprend une grille, un standard ou un thème, live. Manu Chao, c’est un son et une voix immédiatement reconnaissables. Ces ­tintements de lutin sonnant comme une signature.

Chaque album, c’est donc un peu comme ­retrouver quelqu’un qu’on connaît. « 13 diaz que no te vi… » (« 13 jours que je ne t’ai pas vu »). Il a toujours la même tête, ouf… Mais il lui est arrivé des trucs, on relève les compteurs. « Que hora son ? » (« Quelle heure est-il… chez toi ? ») Il y a du neuf et des souvenirs à raconter, des airs à rejouer. « Ahorà que ? » (« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »), interroge la jaquette de Radiolina . Après la Caravane des quartiers, Cargo 92, le train de glace et de feu à travers la Colombie, Manu a conçu une petite radio perso qui émet en continu sur Internet. « La resignación es un suicidio permanente », dixit ce canal news qui annonce aussi une nouvelle manière de produire de la musique en 2008.

Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? De la musique, des vidéos, des débats, des playlists… sur Internet. Radiolina , l’album, c’est un peu pour faire le point à cette étape. Sur ses aspirations rock : « Tristeza Maleza », « El Hoyo ». Ses coups de cœur : « Me Llaman Calle ». Ses remises à jour… Le tout sur des riffs de guitare qui emportent (Madjid Fahem). Des percus vives (David Bour). Des trompettes (Roy Paci, Angelo Mancini) qui secouent l’esprit de la fête. La colère, aussi, avec des billets d’humeur (« Politik Kills », « Rainin in Paradize »). Toujours cette crainte de la mauvaise réputation (« Mala Fama »). Un truc qui poursuit « el desaparecido », qui se voit plutôt en petit monkey ou en clown, même « bleeding ». C’est qu’il saigne toujours un peu de quelque part, le Manu Chao. Entre la vie qui est si belle et le monde si pourri. L’espérance et le cafard. La Sibérie et Babylone. La solitude et le collectif. La rage et la fiesta. Le monde (« Mundorévès », « La Vida tombola ») et l’intime (« Besoin de la lune », « Siberia »). Ahora qué ? « La radiolina émet en continu, le petit voyage ne s’arrête pas… »

Culture
Temps de lecture : 4 minutes
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