Des airs de liberté

« Ishumer », une compilation idéale pour connaître la musique touarègue actuelle.

Jacques Vincent  • 3 avril 2008 abonné·es

On ne peut parler de la musique touarègue sans évoquer l’histoire de ce peuple saharien depuis un siècle. L’histoire d’un peuple poussé à l’insoumission et obligé de passer d’un nomadisme ancestral à l’errance et à l’exil. L’histoire d’une résistance face à la colonisation qui perturbe une organisation ancienne, puis, à partir des années 1960, contre les États indépendants que deviennent l’Algérie, le Burkina Faso, la Libye, le Niger et le Mali. Les révoltes se succèdent régulièrement de 1963 aux années 1990. S’y ajoutent, dans les années 1970 et 1980, des vagues de sécheresse qui déciment les troupeaux et poussent les Touaregs à partir chercher du travail dans les villes. En Algérie, mais aussi en Libye, où, enrôlés par Kadhafi, ils découvrent une nouvelle trahison en même temps que le maniement des armes automatiques. Un de leurs noms vient de là : Ishumar, dérivé du mot «~chômeur~», qui donne son titre à ce disque.

Entre-temps, la musique touarègue, essentielle comme lien dans la communauté dispersée, connaît un tournant capital, marqué à la fois par l’arrivée de la guitare, qui en devient l’élément central, et celle de la cassette enregistrée, qui en permet une plus grande diffusion, aux risques et périls de ceux qui en possèdent puisqu’elles suffisent à les faire arrêter.

Le groupe Tinariwen est bien sûr le symbole de ce tournant dès la fin des années 1970, et cette compilation montre assez bien son rôle pivot à travers les groupes et artistes qui ont pris part à un moment ou un autre à son histoire. À commencer par Terakaft, fondé par Kedou, un des membres historiques de Tinariwen, et le frère d’un autre membre fondateur, Intiyeden, mort en 1994. Terakaft lui rend hommage en reprenant un des morceaux. Sept minutes d’électricité vagabonde sur un chemin qui semble ne jamais devoir finir.

Dans l’électricité brute des guitares, les voix et les structures des compositions, Terakaft est le plus proche de Tinariwen. Mohamed Ag Itlal aussi est passé par Tinariwen avant de renoncer aux tournées comme, sur le morceau présent ici, il renonce à l’électricité. Tout comme Hamid Ekawel. Mais le mérite de cette compilation est aussi de faire la part belle à la nouvelle génération, ceux qui étaient trop jeunes pour participer aux rébellions des années 1990 mais en prolongent l’esprit dans un combat jamais gagné pour défendre l’identité et la culture du peuple touareg.

Point commun : une musique qui envoûte et transporte mais garde un fond d’amertume. C’est le cas de Tamikrest, avec batterie et guitares psychédéliques. Et d’Omar Moctar, qui signe ce qui est peut-être le plus beau morceau d’un disque qui aurait aussi pu s’appeler ainsi : « Imuhar », « homme libre ». Les Touaregs, qui connaissent le prix de la liberté, aiment s’appeler ainsi. Omar Moctar résume l’esprit actuel en déclarant : « Pour un peuple minoritaire comme le nôtre, la révolution doit être la ligne directrice de notre vie, pour au moins sauvegarder notre identité. »

Culture
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