Douce France…

L’exposition « Les Parisiens sous l’Occupation » propose des images d’André Zucca, reporter au service de la propagande nazie, et suscite une polémique. De fait, le parcours manque cruellement de pédagogie.

Jean-Claude Renard  • 24 avril 2008 abonné·es

Tiens, on remet l’Occupation en route… Ça ne date pas d’hier. Mais pas d’avant-hier non plus. Traces et stigmates. Mensonges par omissions, refoulements. Derrière l’objectif, André Zucca pouvait fredonner alors… « Maréchal, nous voilà ! » André Zucca (1897-1973) était reporter photographe pour Signal, magazine de propagande nazie glorifiant la Wehrmacht. Un but, rendre compte joliment de la France occupée en général, de Paris en particulier.

Illustration - Douce France…


« La rue de Belleville en 1944 ». Un Paris de propagande exposé sans distance. André Zucca/bhvp/Roger Viollet

Zucca a brillamment accompli sa tâche. Son objectif se concentre sur le doux-vivre, les mondanités. Les cafés chics des quartiers huppés sont garnis. Aux courses de Longchamp, les élégantes rivalisent de chapeaux gracieux exubérants. Souvent, les rues sont dépeuplées. Le Trocadéro est transi sous la neige. Des mouflets en patins à roulettes aux pieds de la tour Eiffel, un pêcheur à la ligne sur un quai de Seine, des baigneurs en maillot, les bains Deligny, des flâneries le long des quais des bouquinistes, deux souris grises, ces auxiliaires féminines de l’armée allemande, devant un étal de souvenirs, une relève de la garde boche, la devanture d’un magasin de bois et charbon, un fleuriste charriant de pleins bouquets devant le Fouquet’s, la vitrine de Maxim’s, la célébration du soldat inconnu, l’entrée de Luna Park, à la porte Maillot.
Restent encore la terrasse bondée des Deux Magots, les cultures maraîchères au jardin du Luxembourg (radis et oignons, entre autres), une partie de cartes sous les rayons de soleil, une chope de bière, un vélo-taxi, un camelot sur les grands boulevards, une vitrine de chaussures en « vente libre » (donc pas besoin de coupons), au milieu du portrait de Pétain, la foire du Trône et ses badauds, les rues animées de Belleville, une marchande des quatre saisons, l’effervescence des Halles. Tout le fromage du pittoresque, dans un univers où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

Il y a bien une affiche clamant la formule de Pétain, « La famille est la base de la société » , l’enseigne, pignon sur rue, long large de la Ligue française, de Pierre Constantini, groupuscule collaborationniste et antisémite. Il y a encore deux photos, entre la rue de Rivoli et celle des Rosiers, où passent deux personnes estampillées par une éclatante étoile jaune. Pas plus. Et guère de rafles ni d’arrestations, ni de files d’attente aux magasins d’alimentation, de ravitaillements de fortune, de contrôles d’identité, d’exécutions sommaires annoncées sur affiches.

Air connu: un objectif ne fixe que ce qu’il veut bien glisser dans le cadre. Robert Capa campera une définition définitive du photojournalisme : « Si ta photo n’est pas bonne, c’est que tu ne t’es pas approché du sujet. » Les photos de Zucca sont bonnes. Et en couleur. Il est le seul à disposer de pellicules Agfacolor. Une pellicule qui crée une impression de forte luminosité. Et du coup un Paris ensoleillé. Et des couleurs qui donnent un effet de proximité historique.
Façon guide touristique, l’exposition se déploie en 270 photographies. Payé, protégé par les Allemands, Zucca ne s’est pas rapproché pour autant de son sujet. Ou plutôt, il a choisi. On estompe, édulcore, efface. Surtout, on ignore. De surcroît, l’exposition manque d’explications, de distance. À l’entrée, un bref panneau livre le parcours du photographe : reporter dans les Balkans, en Italie, en Grèce, en Afrique du Nord, en Palestine, au Japon. « Il travaille de 1940 à 1944 à Paris pour le magazine Signal et pour l’Illustration. Arrêté en octobre 1944, il est rapidement libéré et rejoint la Première armée du général de Lattre de Tassigny. Son dossier est classé en octobre 1945. » Fin de citation.
Jean Derens, directeur de la bibliothèque parisienne, n’a pas songé à rappeler ce qu’était Signal. Ni même à appeler un chat un chat. Zucca était un collabo. Devant les protestations, les organisateurs se sont finalement fendus d’un « Avertissement », qui souligne l’intérêt de ces images en couleur, rappelle que Signal était « un organe allemand de propagande nazie vantant la puissance de la Wehrmacht et de la Waffen SS », oublie de préciser que l’Illustration se voulait pétainiste, et revient encore sur la valeur historique des images de Zucca. Cet avertissement tient sur une feuille de papier, posée au guichet. Pas plus de pédagogie. Ni d’images en regard. Ni de commentaires au fil de l’exposition. Rien sur le contexte qui exigeait pourtant son poids d’explications. Juste une légende en bas des images, qui définit les lieux. L’Occupation réduite à une légende anodine.
Le 21 avril, Bertrand Delanoë s’est prononcé pour la poursuite de l’exposition contre l’avis de son adjoint à la culture, Christophe Girard, qui appelait à sa fermeture – une décision qui n’aurait rien arrangé, bien au contraire. Le maire de Paris a annoncé que des débats seraient organisés autour de l’exposition.

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