L’art de faire payer la crise aux pauvres

La « banalisation » du Livret A est une aubaine pour les banques en pleine déroute financière, mais porte un sérieux coup au logement social.

Jean-Baptiste Quiot  • 3 avril 2008 abonné·es

Que cache la «banalisation» du LivretA? La question se pose alors que le gouvernement accélère sa réforme pour qu’elle entre en vigueur dès le 1er octobre 2008. C’est ce qu’indique un avant-projet de texte transmis aux banquiers pour consultation. Au vu de ses grandes lignes, cette réforme devrait les ravir, mais elle inquiète aussi les organisations du logement social. En effet, le financement de celui-ci dépend largement des ressources collectées sur le Livret A. Avec cette banalisation, Dominique Dujols, de l’Union sociale pour l’habitat, qui représente quelque 820 organismes HLM, dénonce « une mise en concurrence du financement du logement social. Le Livret A va constituer une nouvelle source de liquidités pour les banques alors que l’économie est en crise. Mais c’est le logement social qui va payer ». De quelle manière ?

Conformément à ce qu’exige la Commission européenne au nom de la sacro-sainte loi de la concurrence, la distribution du Livret A sera généralisée à tous les établissements bancaires. La Banque postale, les Caisses d’épargne et le Crédit mutuel en perdront ainsi l’exclusivité. Et donc une partie de leur rémunération.

Mais cette réforme n’est-elle que la « banale » remise en cause d’un service public ? Non. La réforme va encore plus loin et dépasse même les exigences de la Commission européenne. En effet, pour compenser leurs pertes, le gouvernement prévoit qu’en contrepartie l’ensemble des établissements bancaires, et pas seulement les trois cités précédemment, pourront conserver dans leur bilan une partie des sommes collectées. Surtout, la réforme s’attaque à la centralisation de la collecte par la Caisse des dépôts et des consignations (CDC). Or, la CDC utilise les fonds du Livret A pour des prêts avantageux et à long terme aux organisations d’HLM.

Le projet de texte prévoit que le taux de centralisation soit fixé « de manière à ce que les ressources du fonds soient au moins égales au montant émis par le fonds au bénéfice du logement social, majoré d’un coefficient égal à 1,25 » . Pour le collectif « Pas touche au Livret A », qui réunit syndicats, associations et élus, cette disposition viserait à réduire « de 100 % à 50 % le montant des fonds collectés qui seraient centralisés pour financer le logement social. Le reste serait à la disposition des banques alors même que la Commission européenne n’exige pas la remise en cause de l’actuelle centralisation. Les banques ont là une occasion unique de se refaire une santé sur le dos de l’épargne vertueuse que constitue le Livret A » . Et il semble que le gouvernement ait trouvé une idée originale pour que les pauvres financent la crise financière et bancaire actuelle.

Encore mieux, le gouvernement compte par la même occasion remettre en cause l’indépendance de la CDC, pourtant garante de l’épargne populaire. « La CDC a été créée en 1818 pour protéger l’épargne des Français des impôts abusifs de la monarchie ou de l’empire. Aujourd’hui encore, la CDC ne dépend que du Parlement et pas de l’exécutif , explique Dominique Dujols. Or, avec 204 milliards de fonds d’épargne, la CDC intéresse. » Comme par hasard, le projet de texte prévoit de placer le fond d’épargne sous l’autorité d’une personnalité morale. « La CDC deviendrait alors un établissement de crédit comme les autres sous la tutelle du Trésor et donc de l’exécutif. Cela comporte des risques pour son indépendance » , poursuit-elle. Tout dépendra en effet de la priorité du gouvernement : financer l’économie dans un contexte difficile ou veiller aux logements sociaux ? Pour les banques qui pourront utiliser jusqu’à 50 % de la collecte du Livret A, le choix est évident.

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