« On est en pleine schizophrénie »

Il est très probable que la limitation à 2 °C de la hausse des températures moyennes, objectif officieux des négociations internationales, est déjà hors d’atteinte.
Mais y a-t-il
un intérêt
à le clamer ? s’interroge Hervé Le Treut, directeur du laboratoire de météorologie dynamique
du CNRS.

Patrick Piro  • 3 avril 2008
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Le dernier rapport quinquennal du Giec, qui sert de référence aux négociations internationales sur le climat, n’a pas été en mesure d’intégrer, dans les conclusions de son dernier rapport, l’accélération spectaculaire de la fonte des glaciers, récemment établie. C’est gênant pour l’édification des décideurs…

Hervé Le Treut : Nous sommes face à un problème de fond, en effet : depuis la remise de ce rapport, l’an dernier, il y a eu une évolution significative de certains résultats touchant aux impacts du dérèglement climatique. Ce n’est pas encore de la science « solidifiée », mais nous sommes face à des changements rapides, et il faut pouvoir en tenir compte. Cela signifie qu’il faut engager plus de travaux, notamment dans le domaine des glaciers, qui a manqué d’attention de la part de la recherche.

À ce titre, les données collectées pendant l’année polaire internationale, qui vient de s’achever, devront être épluchées rapidement. Plus largement, il faut être particulièrement attentif à la capacité des écosystèmes à absorber les émissions de gaz à effet de serre. Jusqu’où tiendront-ils ? C’est l’un des points clés.

On constate aussi que les émissions réelles de gaz à effet de serre, dans des pays comme la Chine, dépassent largement les valeurs retenues dans les modèles de prédiction.

Les scénarios d’émissions du Giec ont en effet été établis au début des années 2000, avant l’explosion économique de certains pays asiatiques. Pour la Chine, l’écart constaté revient à sous-estimer de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à dix ans ! Il est évident qu’il faut opérer des corrections.

Le Bureau du Giec se réunit la semaine prochaine à Budapest. Est-il question de modifier son fonctionnement afin de le rendre plus réactif ?

La question se pose en effet. Des réflexions sont en cours, et la périodicité des rapports du Giec sera à l’ordre du jour des débats à Budapest. Deux idées s’affrontent : le statu quo, c’est-à-dire un rapport tous les cinq à six ans, notamment défendu par la France. Ou bien une production plus fréquente, tous les deux ans, par exemple.

Il faut savoir que l’élaboration du rapport du Giec prend du temps, par essence : il s’agit, par la revue de l’ensemble de la littérature scientifique, de l’établissement du consensus en matière de science climatique, des impacts du dérèglement et des solutions à y apporter. Il fait intervenir plusieurs milliers de chercheurs et d’experts dans près de 200 pays. Pour cela, le Giec convient d’une date limite au-delà de laquelle on ne prend plus en considération aucune nouvelle publication, en gros un an avant la publication du rapport. Les dernières études examinées datent donc du printemps 2006 environ.

Faut-il donc plaider en faveur d’un « sous-Giec rapide » ? Je ne le pense pas, nous risquerions de dénaturer sa crédibilité. Le délai actuel permet aussi d’absorber les soubresauts de certains débats scientifiques susceptibles de se régler en quelques mois. En revanche, je suis plutôt en faveur d’adjoindre au Giec un organe de veille plus réactif, qui aurait pour tâche de publier à court terme des avis restreints à destination des décideurs, quand la nécessité s’en fait jour.

À la suite des travaux du Giec, les négociations internationales sur la lutte contre le dérèglement visent, plus ou moins officiellement, une limitation à 2°C de l’augmentation des températures planétaires, afin d’éviter des bouleversements trop importants. Cet objectif n’est-il pas déjà obsolète ?

Nous aurons en effet beaucoup de mal à le tenir. La moyenne des températures va très certainement dépasser 2 °C de hausse. Mais il est très délicat de l’écrire ou de le dire de manière officielle… Tant d’efforts sont entrepris par des gouvernements, des associations, des élus, que l’on risque de décourager tout le monde, surtout si l’on est incapable de proposer un objectif de substitution.

Mais n’est-ce pas un secret de Polichinelle, en tout cas pour le sérail ? Qu’avons-nous à gagner à nous voiler la face ?

Les objectifs actuels sont à la fois insuffisants et ne seront très probablement pas atteints. Cependant, il est particulièrement délicat de remettre en cause le cadre et la dynamique des négociations internationales actuelles, où l’on tente de maintenir des pays défendant des positions diverses…

On est en pleine schizophrénie, mais il n’est tactiquement pas inepte de privilégier la consolidation du processus de négociation actuel, qui se fonde sur des objectifs plus réalistes que lors de l’élaboration du Protocole de Kyoto, auquel il fait suite. J’étais assez satisfait, lors de la dernière conférence des Nations unies sur la lutte contre le dérèglement climatique, en décembre dernier, à Bali, de constater que nous discutions sur les bons ordres de grandeur, et pas dans le déni à hauteur d’un facteur 10, comme avant ! Il me semble qu’il sera toujours temps d’annoncer, quand nous disposerons d’éléments scientifiques plus solides, que l’effort devra être accru de 30 %. Et qu’il faudra réagir vite.

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes
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