Plus vite et plus grave !

La prise de conscience provoquée par le rapport des scientifiques du Giec en 2007 est à peine digérée que les objectifs affichés paraissent déjà obsolètes. Plus que jamais, il y a urgence à agir, vite et fort.

Patrick Piro  • 3 avril 2008
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Plus vite et plus grave !

La semaine dernière, la banquise antarctique a subi l’ablation finale, commencée un mois plus tôt, d’une énorme portion de 414 km2 du plateau de Wilkins au sud-ouest du continent glacé. L’équivalent de quatre fois la superficie de Paris. La désintégration de cette plateforme, la plus importante de l’Antarctique avec près de 13 000 km2, devrait se poursuivre sous l’effet de cette fragilisation.

Les scientifiques la surveillent comme le lait sur le feu : la région connaît l’élévation de température la plus importante de la planète à cause de particularités locales de la circulation atmosphérique. « Un demi-degré de plus par décennie, près de cinq fois plus qu’en moyenne planétaire » , précise le glaciologue Jean Jouzel, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace.

On avait prévu depuis plus de dix ans cet effondrement, sous l’effet des vagues et de l’air plus chaud, mais on ne l’attendait que vers 2030. La fonte de cette énorme masse n’aura pas d’influence sur le niveau des mers, car la plateforme flottait déjà sur l’eau. Mais sa disparition va faciliter l’écoulement de « fleuves » de glace que sa masse retenait. « On le constate au Groenland, où les plateformes glaciaires ont déjà disparu » , ajoute Jean Jouzel. En dix ans, la vitesse d’écoulement du glacier Jakobshavn y a été multipliée par deux. « L’an dernier, les deux pôles ont ainsi relâché quelque 200 km3 de glace dans les océans, responsables d’une hausse d’un demi-millimètre de leur niveau. »

Une accélération de la fonte que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) n’a pas pu prendre en compte dans son dernier rapport publié début 2007 : alors qu’il extrapolait entre 0,18 à 0,59 m de hausse d’ici à 2100, elle sera peut-être… de 1 à 1,4 m.

Mais la surprise majeure des derniers mois, concède Jean Jouzel, reste la fonte spectaculaire de la glace de mer en Arctique. Alors que la superficie gelée ne descendait pas au-dessous de 7 millions de km2 à la fin de l’été, cette banquise s’est trouvée réduite à moins de 4 millions de km2 en septembre dernier. « Aucun modèle ne l’avait prédit ! Et personne n’ose de pronostic pour l’automne prochain… »

Cette accélération du réchauffement climatique va exiger une révision des modèles plus tôt que prévu. D’autres phénomènes préoccupent beaucoup les scientifiques. Le plus important est certainement la saturation proche de la capacité des océans à absorber le gaz carbonique (CO2), le principal des gaz à effet de serre émis par les activités humaines. Aujourd’hui, 46 % de son volume subsiste dans l’atmosphère, proportion actuellement retenue pour tous les calculs, mais qui pourrait atteindre 50 % d’ici à deux décennies…

Illustration - Plus vite et plus grave !


Un affluent du Yangtzé, près de Nanchang, dans le sud-est de la Chine, est totalement asséché. AFP

Car, bien loin de décroître, les émissions de CO2 battent chaque année des records, augmentant en moyenne de 3 % par an depuis 2000. « Et aucun point d’inflexion en vue » , s’alarme le climatologue Hervé Le Treut (voir p. 7).

Le cas de la Chine est crucial : les dernières estimations indiquent une croissance annuelle du CO2 de 11 %, soit le double de la valeur admise, en particulier dans le dernier rapport du Giec. « La Chine n’a fourni qu’une communication sur ses émissions, en 2004, pour un bilan concernant… 1994, et rien ensuite ! » , relève Olivier Godard, économiste au laboratoire d’économétrie de Polytechnique. Explication : la mise en service effrénée de centrales à charbon ­ une par semaine en moyenne ­ pour faire face à la demande d’électricité.

Autant d’éléments qui révèlent une réalité plus alarmante encore que les hypothèses du scénario le plus pessimiste du Giec, dénommé « business as usual » (« laisser-faire »).

Depuis quelques années, un consensus scientifique s’était établi pour limiter à 2 °C d’ici à 2100 l’augmentation des températures moyennes afin de limiter la casse ­ hausse du niveau des mers, événements météorologiques violents, perturbation des écosystèmes, épuisement de ressources naturelles, migrations climatiques, etc. Un but adopté par l’Union européenne et par les ONG.

Encore plausible il y a quelques mois seulement, même au prix d’efforts importants, cet objectif « 2 °C » semble désormais tout à fait hors d’atteinte. Il nécessiterait de contenir la concentration de CO2 au-dessous de 450 parties par million (ppm), contre environ 385 ppm actuellement. Pour l’économiste anglais Nicholas Stern, mieux vaudrait d’ores et déjà convenir qu’il faut se battre pour ne pas dépasser 500 ppm…

« Mais à ce niveau, qui pourrait conduire jusqu’à un réchauffement de 4 °C, je ne crois pas possible d’éviter une « interférence humaine dangereuse » avec la machine climatique » , conteste Jean Jouzel, qui exprime ouvertement son pessimisme, comme un nombre croissant de chercheurs jusque-là modérés.

C’est le cas dans plusieurs études prospectives très récentes, où de prestigieux auteurs interpellent la communauté internationale avec une force sans précédent. Timothy Lenton, du Environmental Change institute d’Oxford, a ainsi dressé avec son équipe la liste des « points de bascule », c’est-à-dire ces mécanismes de l’écosystème terrestre qui pourraient subir des altérations profondes ou irréversibles, et dès ce siècle, sous l’effet d’un réchauffement qui atteindrait de l’ordre 3 °C ou plus ­ hypothèse désormais parfaitement réaliste. Conclusions de l’étude [^2] : la banquise arctique et la calotte glaciaire du Groenland ont une haute probabilité de fondre totalement, la première en une décennie, la seconde en trois cents ans ­ provoquant 6 à 7 mètres de hausse du niveau des mers. Viennent ensuite des « bascules » à probabilité moyenne, à des horizons compris entre dix et trois cents ans : disparition de la mousson africaine, des forêts boréales et amazonienne, de la calotte ouest antarctique (6 à 7 mètres de hausse additionnelle du niveau des mers), instabilité de la mousson indienne, renforcement de l’oscillation climatique pacifique El Niño…

Mais c’est Jim Hansen, directeur du Goddard Institute de la Nasa, climatologue réputé, qui assène le coup de bambou. Il tente, en s’inspirant de données issues de paléoclimats plus chauds, d’estimer l’impact de la disparition d’une partie des glaces afin de pallier le défaut des modèles actuels qui n’en tiennent pas compte. Ses conclusions, inédites, sont d’une radicalité sans appel : « accepter » de laisser les taux de CO2 approcher les 450 ppm, c’est déjà prendre le risque de laisser le système climatique s’échapper dans une « zone dangereuse » aux conséquences potentiellement catastrophiques ­ de l’ordre de 6 °C de réchauffement pendant une durée indéterminée. L’objectif sûr, selon Hansen, c’est… de revenir à 350 ppm pour le CO2. Conséquence : accepter le « laisser-faire » encore une décennie est suicidaire, il faut à très brève échéance taxer fortement les émissions de CO2 et en tout état de cause parvenir au bannissement de l’usage du charbon (à moins d’en récupérer le CO2). Un défi à relever dans les deux décennies, que Hansen qualifie « d’herculéen, mais comparable aux efforts consentis pendant la Seconde Guerre mondiale. L’enjeu, la survie de la vie sur la planète, dépasse celui de toutes les crises connues » . Il est probable que sa démonstration ne sera pas fondamentalement remise en cause. Une maigre et très passagère consolation : son papier, daté de la mi-mars ^3, n’a pas encore été publié dans une revue scientifique…

[^2]: Publiée en février par l’Académie des sciences états-unienne.

Écologie
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