Reflexions autour du terrorisme

Denis Sieffert  • 3 avril 2008 abonné·es

Pourquoi ce refus de « comprendre » le terrorisme ? D’emblée, François de Bernard pose la question. Non sans prendre la précaution, utile en ces temps où la polémique tient lieu de débat, de préciser ce que « comprendre » veut dire. On se souvient du trop fameux « comprendre, c’est déjà excuser » d’Alain Finkielkraut. Après avoir payé son tribut au politiquement correct (évidemment, nous condamnons tous le terrorisme), l’auteur, professeur de philosophie à Paris-VIII, propose ses explications.

Le refus de « comprendre » le terrorisme, c’est avant tout le refus de la pluralité des terrorismes. Autrement dit, le déni du terrorisme d’État, et l’affirmation d’une norme qui ne prendrait en compte que des groupes comme Al-Qaïda ou encore l’ETA basque. Pour mieux oublier des politiques meurtrières. Bush ou Poutine ? Jamais. L’incompréhension voulue, délibérée, organisée agit donc, pour un État ou un chef d’État, comme une « garantie de pouvoir poursuivre [des] activités criminelles au grand jour sans risque de les voir jugées selon la loi commune » . Après avoir interrogé ce refus de comprendre, François de Bernard s’insurge contre les facteurs d’explication trop simples.

La pauvreté, par exemple. Il en existe d’autres. Ainsi, le sentiment d’impuissance par rapport aux politiques. Ce que l’auteur appelle « la pauvreté politique ». En brillant analyste, il fouille, décortique, pressure le mot et la réalité qu’il sous-tend pour mieux réfuter les fausses interprétations. Non, le terrorisme n’est pas le produit naturel de la mondialisation. Et non, démocratie et terrorisme ne sont pas les termes absolument antinomiques que l’on suppose ordinairement. « L’idée, écrit-il, d’en passer par la contrainte la plus extrême, la violence mortifère […] *, et cela afin de faire triompher son projet* […] *, cette conception est intrinsèquement étrangère à « l’idéal démocratique. » »* Mais il suffit d’une rapide plongée dans la complexité du concept démocratique pour mettre à mal cette doxa . La façon dont des démocraties violent leurs propres lois dès qu’il s’agit de « lutte contre » le terrorisme témoigne de la fragilité d’une opposition trop tranchée. Surgit alors ce que François de Bernard appelle le « terrorisme de la démocratie », lorsque la démocratie « réinvestit » le terrorisme.

On l’aura compris, ce petit livre relève surtout de l’exercice dissertatif. Il n’est pas ancré dans l’histoire et dans la politique et ne se revendique pas comme tel. Mais il offre une réflexion utile qui brise et concasse les préjugés et les certitudes qui font l’ordinaire de notre information.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »
Entretien 18 novembre 2025 abonné·es

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »

Alors que le gouvernement échappe à un vote budgétaire et que le PS choisit la négociation, le leader insoumis dénonce une « comédie démocratique » et acte la rupture avec les socialistes. Sa stratégie : refonder une gauche de rupture, préparer les municipales en autonomisant La France insoumise et affronter les grands débats sur l’immigration, le syndicalisme, l’Ukraine, la Chine et le Proche-Orient.
Par Lucas Sarafian, Pauline Migevant et Pierre Jequier-Zalc
Les pédés sont des sorcières comme les autres
Essai 14 novembre 2025 abonné·es

Les pédés sont des sorcières comme les autres

Dans un essai visionnaire initialement publié en 1978, l’auteur et militant gay Arthur Evans dresse des ponts entre la culture des sorcières et le destin des communautés LGBT à travers les âges. Une histoire rythmée par les dominations sexistes, homophobes, racistes et écocidaires.
Par Salomé Dionisi
13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre
Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc