Surveillés de près

Dans la province du Qinghai, voisine du Tibet interdit aux journalistes, des Tibétains tentent de déjouer l’oppression chinoise. Malgré l’intensité du contrôle militaire et le manque d’informations. Reportage.

Éric Drouot  • 3 avril 2008 abonné·es
Surveillés de près
© *Les noms ont été modifiés.

Au téléphone, Tsangpo* s’excuserait presque de devoir faire vite. « Je n’ai pas le temps. Je suis sur écoute. » Ses mots fusent : « La région est entièrement bouclée. Il y a des policiers et des militaires partout. Ce week-end, ils ont embarqué des gens de mon village, dans le Gansu… Il n’y a rien à faire. Trop de contrôles, trop de fouilles. Je ne peux aller nulle part. On est bloqués. Dites-le, écrivez-le… Je vous rappellerai. »

Illustration - Surveillés de près


Des forces paramilitaires chinoises à Lijiang, dans la province du Yunnan.
J. BROWN/AFP

Croisé fin mars sur les routes de la province du Qinghai ­ le Tibet oriental ­, ce jeune Tibétain de 24 ans s’était alors présenté comme « une sorte de modeste informateur, de relais » , en contact régulier avec les membres de nombreux villages tibétains alentour. « J’essaie d’obtenir des informations et de les faire circuler. Il faut qu’un maximum de monde soit au courant de ce qui se passe ici , avait-il expliqué, que les gens sachent que les militaires quadrillent le pays et font la loi à présent. »

Depuis que les autorités chinoises se sont engagées « dans une lutte à mort avec la clique du dalaï-lama », dixit le gouverneur du Tibet, Zhang Qingli, les principaux axes routiers de l’ouest du pays sont placés sous le contrôle de policiers et parfois même de camions de l’Armée populaire de libération. Impossible, dorénavant, pour un journaliste étranger d’atteindre les zones reculées et les lamaseries, pourtant nombreuses, de la région. À chaque tentative, l’intrus, forcément contrôlé après quelques dizaines de kilomètres sur des routes barrées d’innombrables check-points, est prié de faire demi-tour. « Pour des raisons de sécurité » , explique invariablement la ou les sentinelles chargées de faire passer le message. Et Gonda*, une étudiante tibétaine de l’université du Qinghai, de résumer : « C’est la loi du silence. Tout est bouclé. »

ÀXining, capitale de la province, même constat, même sensation de claustration. Impossible de déambuler sans croiser un uniforme. Des véhicules de police patrouillent ­ jour et nuit, et souvent toutes sirènes dehors ­ dans les zones « sensibles » : quartiers tibétains, artères commerciales, gares et universités. « Il faut absolument rétablir l’ordre. C’est l’année des JO, c’est très important pour le pays » , assure un chauffeur de bus, né sur place, dans cette ville perdue à plus de 2 000 kilomètres de Pékin et de son stade olympique. Difficile pour l’homme de la rue, nourri à la propagande officielle, condamnant sans réserve les « voyous de Lhassa, saboteurs de l’harmonie ethnique » , d’émettre d’autre avis. « Toute cette police… Ce n’est pas très agréable, bien sûr, mais c’est nécessaire, je crois. Nous ne pouvons pas accepter les problèmes » , confie pour sa part un commerçant du quartier de la gare routière.

Restent tout de même quelques espaces de résistances. Dans les zones universitaires de la ville, placées sous haute surveillance policière, la communauté tibétaine tente de garder le contact avec les provinces voisines. « À Chengdu [la capitale du Sichuan], les étudiants tibétains arrivent à communiquer avec l’extérieur. Seulement, ici, on ne sait pas grand-chose , s’alarme encore Gonda. On essaie tout de même de s’informer comme on peut. Quelles sont d’ailleurs les dernières nouvelles ? Est-ce que les gens, à l’étranger, s’intéressent au Tibet ? » D’autres, comme cette traductrice fraîchement diplômée, assurent que les étudiants tibétains de l’Université du peuple à Lanzhou, dans le Gansu, sont davantage mobilisés. « Aux dernières nouvelles, ils arrivaient à se réunir et à discuter à plusieurs des événements. »

Fin mars, enfin, un groupe d’étudiants de l’université provinciale des minorités réussissait à prier en extérieur à la mémoire de « ceux de Lhassa » , sous les yeux de certains professeurs ahuris. Mais, dans l’ensemble, la vie universitaire reste sous contrôle strict. « Nous sommes surveillés de très près » , témoigne ainsi Gonda. Et dans ce climat très lourd, « la peur » forcément s’installe. « Parce qu’on ne sait rien. » Parce qu’à l’autre bout de la province ­ qui sait ? ­ des parents, des amis ont peut-être été arrêtés et qu’à Xining, pendant ce temps-là, « la vie continue » , malgré tout.

Temps de lecture : 4 minutes