Un « milieu » à protéger

Le Club des 13, composé de professionnels du grand écran, vient de rendre public un rapport initié par Pascale Ferran, qui formule douze propositions pour lutter contre la disparition progressive du cinéma d’auteur.

Christophe Kantcheff  • 17 avril 2008 abonné·es

Plusieurs rapports sur la situation économique du cinéma ont été rendus publics ces dernières semaines. Cette concordance, qui dépasse la simple coïncidence, est un signe de plus de la dégradation du secteur que subissent nombre de professionnels, et de l’urgente nécessité d’en discuter et d’y remédier. Avec, toujours, en toile de fond, la crise de l’intermittence, devenue implicite à force de s’éterniser.

Après la Société des réalisateurs de film (SRF), qui avait ouvert le bal en février en lançant un « Avis de tempête » [^2], « texte-pamphlet » synthétisant les problèmes les plus saillants, le Club des 13
[^3] a fait connaître fin mars le résultat d’un travail de réflexion initié par Pascale Ferran, dans le prolongement de son intervention aux césars en 2007. Ce rapport, disponible en librairie
[^4], d’une grande clarté pédagogique, s’intitule Le milieu n’est plus un pont mais une faille . L’une des idées-forces en est effectivement que la disparition progressive des films d’auteur dits du « milieu », dont une définition relativement floue est donnée par une fourchette de budget (de 3 à 7 millions d’euros) et par une longue liste de cinéastes (de Resnais à Corneau, de Klapisch à Breillat, de Chabrol ou Rivette à Guédiguian ou Jaoui…), montre que l’on s’oriente toujours davantage vers un cinéma à deux vitesses, l’un riche (au-dessus de 8 millions) et soumis au formatage télévisuel, l’autre n’ayant pas les moyens de ses ambitions artistiques à force de pauvreté (au-dessous de 3 millions).

Avant de formuler douzepropositions, le rapport expose en détail les dysfonctionnements à tous les échelons de la filière, de l’écriture du scénario à l’exportation, en passant par la production, la distribution et l’exploitation. S’il est impossible d’en donner ici un compte rendu exhaustif, quelques grands axes, illustrés par des exemples frappants, sont facilement identifiables.

Ainsi, après avoir exposé les difficultés rencontrées par les scénaristes, en particulier leur paupérisation et la non-reconnaissance de leur travail, le rapport s’inquiète de la totale dépendance des producteurs indépendants vis-à-vis des financeurs, en particulier les chaînes de télévision. Il dénonce un « abus de position dominante » de la part des grands groupes audiovisuels, qui exigent de figurer en tant que coproducteurs, sans partage des risques, afin de bénéficier du compte de soutien automatique (financé par une taxe prélevée sur chaque ticket), censé permettre au producteur indépendant de pouvoir réinvestir dans un prochain film. D’où l’une des propositions phares du Club des 13 : « L’intégralité du fonds de soutien automatique Production généré par un film revient au seul producteur délégué » (proposition 1).

Cette mesure aurait sans doute pour conséquence une baisse du nombre de films produits. Mais, répondant par l’affirmative à la question polémique « Trop de films produits ? » , le rapport souligne l’augmentation considérable, en dix ans, des films à gros budget et, dans une moindre mesure, des films à petit budget, tandis que la dotation de l’avance sur recettes, dispensée sélectivement par le Centre national de la cinématographie (CNC), est restée la même. C’est pourquoi le Club des 13 recommande « le doublement de l’avance sur recettes » (proposition 4).

La notion de films du milieu reste-t-elle pertinente quand il s’agit d’aborder les questions d’exploitation (les salles) et de distribution (le distributeur, d’une part, paye au producteur le « minimum garanti », c’est-à-dire le droit de commercialiser le film, et, d’autre part, optimise la sortie des films, sur le plan du calendrier, des salles, de la promotion…) ? C’est peu probable, tant les difficultés d’accès aux écrans se posent de façon cuisante aux films économiquement les plus fragiles. Mais le rapport s’attelle à ces problèmes en conservant une vision globale. À nouveau, les chaînes de télévision sont mises en cause. TF 1, Canal + et M 6, en créant des filiales de distribution, se sont placées sur le terrain de la distribution indépendante en faisant de la surenchère sur des films Art et Essai, sachant qu’elles pourront se revendre à elles-mêmes à vil prix en vue du passage télé. Du coup, la carrière en salle du film n’a plus d’importance, puisqu’il sera amorti plus tard. D’où la 6e proposition du Club des 13 : « Suppression du fonds de soutien automatique Distribution pour les sociétés adossées à un diffuseur. »

Le rapport pointe en outre la multiplication des coûts de promotion, notamment parce que les exploitants des grands circuits, dont UGC, Europalaces (Gaumont-Pathé) et MK2, font désormais payer au distributeur l’emplacement des affiches dans leurs multiplexes et les bandes-annonces ! Un exemple de la violence des rapports entre ces circuits et les distributeurs : les premiers pouvant comme bon leur semble déprogrammer les films, même avant leur sortie, une bande-annonce, payée, peut être diffusée dans certaines salles alors que le film n’y sera jamais projeté…

De plus, les multiplexes se servent des films comme produits d’appel pour vendre des confiseries, sur lesquelles les groupes récupèrent les rabais qu’ils pratiquent sur le ticket d’entrée. En particulier dans les salles des circuits ayant instauré des cartes illimitées (Europalaces et UGC-MK2). D’où cette mesure avancée par le Club des 13 (la 8e), mais prônée depuis longtemps par la SRF et l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid) : « Création d’une taxe de 5,5 % sur toutes les marges arrière (confiserie, écrans publicitaires, promotion des films dans les salles) venant abonder l’assiette du CNC et financer l’équipement numérique des salles indépendantes et la dotation de l’avance sur recettes. »

Si le Club des13 innove en matière de proposition sur l’exportation (par exemple en demandant la « création d’un fonds de soutien automatique à l’export au sein du CNC » ­ proposition 11), il reste timoré sur les questions d’exploitation. Il ne formule aucune proposition en ce qui concerne l’inflation du nombre des copies, et se borne à une brève évocation de la « révolution numérique » qui s’annonce pour les salles.

Reste que, en l’état, l’application des mesures qu’il propose favoriserait cette diversité culturelle tant vantée par les pouvoirs publics. Ultime recommandation : le Club des 13 se prononce pour que les salles indépendantes, privées, d’économie mixte, ou municipales puissent avoir accès à tous les films. Débat sensible s’il en est, depuis que quelques-unes d’entre elles (le Comoedia à Lyon, le Palace à Épinal, le Méliès à Montreuil) ont été attaquées par UGC, rallié par MK2 à Paris.

Or, c’est précisément un point sur lequel se distingue le dernier rapport en date, remis aux ministres de l’Économie et de la Culture, Cinéma et concurrence , signé par Anne Perrot et Jean-Pierre Leclerc [^5]. Celui-ci préconise en effet d’ « imposer aux salles municipales opérant en concurrence avec des exploitants privés de souscrire des engagements de programmation » . Voilà une recommandation qui ne risque pas de passer inaperçue…

[^2]: cf. , rubrique Actualités.

[^3]: Composé des réalisateurs Jacques Audiard, Pascale Ferran et Claude Miller, de la scénariste Cécile Vargaftig, des producteurs Denis Freyd, Arnaud Louvet, Patrick Sobelman et Édouard Weil, de la distributrice Fabienne Vonier, des exploitants Stéphane Goudet, Claude-Éric Poiroux et Jean-Jacques Ruttner, et de l’exportateur François Yon. Le Club des 13 a été depuis rejoint par plus de 150 professionnels.

[^4]: Éditions Stock, 10 euros.

[^5]: cf. .

Culture
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