« Un racisme d’État risque de se mettre en place »

À la veille d’une manifestation, le 5 avril, contre la « xénophobie d’État », l’historien Patrick Weil, qui signe un essai sur l’identité nationale*, explique que la politique n’a jamais été aussi répressive vis-à-vis des nouvelles migrations.

Ingrid Merckx  • 3 avril 2008 abonné·es

Le collectif Uni(e)s contre une immigration jetable appelle à manifester, le 5 avril, contre la «xénophobie d’État»?[^2] . Peut-on dire que l’actuelle politique française de l’immigration est xénophobe ?

Patrick Weil : Si la xénophobie c’est la haine et la peur de l’étranger, il est simpliste de qualifier la politique actuelle de xénophobe. Ce qui la caractérise, c’est la sélectivité eu égard à l’origine géographique des étrangers. Le président de la République s’est exprimé clairement sur ce point : il veut choisir les étrangers en fonction de leur pays d’origine. Il n’est pas anti-Asiatiques ou anti-Américains : il est anti-Africains ou anti-Méditerranéens. La commission Mazeaud doit examiner si une révision de la Constitution est nécessaire pour établir une politique de quotas par origine géographique, il faut attendre ses conclusions. Mais ce serait bien un racisme d’État qui se mettrait en place s’il était question d’opérer une classification parmi les étrangers selon leur origine.

Illustration - « Un racisme d’État risque de se mettre en place »


Des policiers arrêtent des sans-papiers qui participaient à un sit-in à Lille, le 1er août 2007. HUGUEN/AFP

Une notion très contestable, le degré d’assimilabilité, viendrait justifier cette politique de différenciation selon les origines. Cette approche ethnico-raciale n’est pas nouvelle : elle a été développée aux États-Unis entre 1921 et 1965, et certains experts ont voulu l’imposer en France à la Libération. L’amendement Mariani instaurant des tests ADN pour limiter le regroupement familial a eu un impact symbolique important cet automne. Mais la mobilisation autour de cet amendement a pu faire diversion cependant que, par la loi, on voulait freiner l’immigration de conjoints de Français, surtout ceux venus de Méditerranée ou d’Afrique.

La France s’est fait épingler par une étude européenne présentée par le British Council le 17 mars. Selon cette étude basée sur l’accès au marché du travail, le regroupement familial, la résidence de longue durée, la participation politique, l’accès à la nationalité et la non-discrimination, la France se classe onzième en Europe. Qu’en pensez-vous?

La France s’est fait épingler sur la naturalisation, mais le taux d’accès à la nationalité est encore assez élevé dans notre pays. Là, en revanche, où la loi est de plus en plus restrictive, c’est au niveau du droit à une vie familiale normale. Sur ce point, nous avons beaucoup régressé. De même, concernant la résidence de longue durée : nous avons démultiplié les situations de renouvellement de titres de séjour pour un an, ce qui crée à la fois de l’anxiété pour les personnes concernées et une surcharge de travail pour les préfectures. Il y a un véritable enjeu autour de la sécurisation des titres de séjour.

De quand date la régression en matière de politique d’immigration?

Nicolas Sarkozy, acteur principal de la politique d’immigration depuis 2002, a développé une première approche restrictive sur certains points, mais visant à séduire la gauche avec des dispositions comme la limitation de la double peine. À partir de 2005, l’objectif est devenu : séduire l’électorat d’extrême droite. Ces trente dernières années, des luttes ont cependant permis des avancées comme, entre 1978 et 1980, l’échec de la politique de retour forcé menée par Valéry Giscard d’Estaing à l’encontre des Nord-Africains, et l’obtention de droits pour l’immigration régulière avec la carte de résident de dix ans en 1984. Il y a eu ensuite une bataille autour de « l’immigration zéro », dont plus personne ne parle à présent. Et une bataille sur le droit à la nationalité de la seconde génération, qui n’est plus contestée. Aujourd’hui, l’enjeu porte sur les nouvelles migrations : nous n’avons jamais connu de sélection fondée sur l’origine telle que M. Sarkozy voudrait la développer. Et, concernant l’immigration familiale, la France n’a jamais connu de lois aussi restrictives.

Vous expliquez, dans votre ouvrage, que les politiques de quotas ont échoué par le passé. Pour quelles raisons ?

Quand ce sont des quotas géographiques, la politique est raciste, quand ce sont des quotas professionnels, la politique est inefficace. Le système de quotas consiste à annoncer un chiffre à l’avance. Les gens se disent : « C’est strict ! » Sauf que si un chiffre est fixé par exemple à 150 000, il y aura bien plus de 150 000 personnes qui penseront pouvoir faire partie du quota et chercheront à immigrer. Au-delà de la barre de 150 000, ils se retrouveront en situation irrégulière. Comme ils seront très nombreux, on ne pourra pas tous les renvoyer. Paradoxalement, les politiques de quotas voulant réguler l’immigration la font exploser.

Personnes sans papiers, réfugiés politiques, économiques, bientôt climatiques… Comment évolue le statut du réfugié ?

Le statut de réfugié est très protecteur. Celui qui ne l’obtient pas doit normalement repartir, sauf s’il est en danger… Les conditions d’obtention de ce statut se sont durcies du côté de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), mais la Commission de recours compense certains refus. Si le gouvernement pratique un usage du droit à la limite de la constitutionnalité, des juges interviennent pour protéger les libertés fondamentales. Nous sommes encore dans un État de droit ! L’un des objets de la commission Mazeaud est d’ailleurs de circonvenir cette liberté des juges.

Il n’y a pas davantage de clandestins aujourd’hui qu’auparavant. D’abord, il existe un système de régularisation au cas par cas, qui concerne 25 000 à 30 000 personnes par an. Ensuite, il est normal qu’il y ait des clandestins : toute politique a ses contrevenants. La question c’est : que faire face à la fraude ? Le gouvernement a l’air de prendre comme cible prioritaire des gens qui n’ont pas commis d’autres infractions que celle du séjour irrégulier, comme des grands-parents sans papiers, plutôt que des criminels sortant de prison. Les reconduites à la frontière de personnes jugées dangereuses ont baissé.

Vous avez été, en février 2007, l’un des initiateurs d’une pétition contre l’instauration de statistiques ethniques, contrairement à d’autres chercheurs, pour lesquels elles seraient un instrument de lutte contre les discriminations. Quels étaient vos arguments ?

Instaurer une classification ethno-raciale au niveau de l’État revient à imposer une identification que les gens n’ont pas choisie et qui n’est pas nécessaire à la lutte contre les discriminations. Je ne vois pas pourquoi on intégrerait des classifications dans le recensement. Par le passé, cela a pu avoir des conséquences dangereuses, et cela a un effet séparatif, artificiel dans la société.

En revanche, je ne suis pas opposé à des études du type Insee/Ined intégrant des questions sur la perception des discriminations eu égard à la couleur de la peau ou à la différence culturelle. Je tiens à la distinction entre ce qui relève des statistiques publiques et l’enquête conjoncturelle nécessaire à la lutte contre les discriminations.

[^2]: Avec le Collectif des sans-papiers, le Réseau éducation sans frontières et la Ligue des droits de l’homme. Départ place d’Italie, à Paris, à14h30, et <www.pour-politis.org>.

Société
Temps de lecture : 6 minutes