Vu de mon jardin

Claude-Marie Vadrot  • 3 avril 2008
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«Il n’y a plus de saison!» La phrase, usée à force d’avoir alimenté les conversations sur la variabilité normale des saisons, reste fausse, fondée sur les failles de notre mémoire du temps. Les saisons demeurent, mais, à l’écart des souvenirs sélectifs du genre humain, les scientifiques, n’oeuvrant pas pour les propos de bistrot, ont construit depuis plus d’un siècle une autre mémoire, la phénologie. L’étude de la variation de l’évolution du comportement et de l’état des êtres vivants en fonction de la variation du climat. Quand, au XIXe siècle, The Times annonçait en première page le retour printanier d’un oiseau dans les arbres de Hyde Park, ses rédacteurs, aidés des lecteurs, faisaient de la phénologie sans le savoir. Beaucoup de jardiniers sont dans ce cas, et la seule consultation de leurs notes au jour le jour raconte les changements.

Au jardin, troglodytes et grimpereaux se font rares, mais j’aperçois régulièrement depuis au moins cinq ans un guêpier, car cet oiseau, autrefois cantonné au sud de la France, suit la lente remontée des moyennes de température en France; pas pour son confort, mais parce que les insectes qui composent sa nourriture gagnent le Nord. La remarque vaut pour les cigognes: si Max, celle que le muséum d’histoire naturelle de Fribourg a équipée d’une balise satellite depuis dix ans, s’est arrêtée cette année en Espagne au lieu d’hiverner en Afrique, ce n’est pas par «fatigue» mais parce que, comme des milliers de ses congénères, elle n’a plus besoin de gagner l’Afrique. Il ne s’agit pas d’impressions mais du résultat de millions d’observations compilées sur ordinateur. Comme celles que j’additionne sur la lente évolution de la récolte des framboises, des cerises et des pêches.

Si, depuis quelques années, des crocus jaunes surgissent dans mon jardin aux premiers jours de janvier, suivis par les narcisses, il ne s’agit pas d’un hasard. Mais d’une évolution qui me permet désormais de récolter sans problème des abricots dans ce terrain du Loiret. Ce qui n’exclut d’ailleurs pas, comme cela vient de se produire dans la Drôme, que les abricots ou les pêches à peine formés souffrent d’un gel somme toute normal fin mars. Le changement climatique ne fait pas disparaître les saisons, mais peut entraîner des fins d’hiver plus douces, provoquant une floraison «prématurée». À trop vouloir jouer avec le réchauffement, plantant de nouvelles espèces précoces, des arboriculteurs ont «perdu». Le jardinier ne doit pas oublier que les hivers précoces n’empêchent pas les printemps froids et que la situation des arbres, fruitiers ou autres, est de plus en plus complexe ou précaire.

Les forestiers tentent d’ailleurs de faire face à une nouvelle migration, celle des arbres qui montent tranquillement vers le Nord: les hêtres et les chênes pédonculés peu à peu remplacés par des pins laricio ou des tilleuls. Sous les yeux des scientifiques, les forêts changent et s’adaptent pour ce qui sera le climat des années 2050, entraînant la modification de la présence des mammifères. Sans oublier la prolifération d’insectes et de parasites profitant du réchauffement et de la douceur de l’hiver pour attaquer arbres et végétation. C’est également le problème du jardinier, qui, en ce moment, guette en vain l’arrivée d’autres insectes pour polliniser ses arbres fruitiers…

Écologie
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