Accompagner la fin de vie en étant généraliste

Médecin généraliste engagé auprès de Chantal Sébire, Bernard Sénet souhaite prendre part au débat sur les soins palliatifs et sur la fin de vie,
à la suite de l’entretien paru sur le sujet dans « Politis » n° 999.
Selon lui, il est nécessaire d’améliorer la loi Leonetti.

Bernard Sénet  • 29 mai 2008 abonné·es

Médecin généraliste de terrain, j’entends beaucoup d’opinions sur la fin de vie exprimées par ceux qui n’y sont pas confrontés régulièrement, y compris des médecins. Mes positions résultent de mon idéologie associant liberté et solidarité, mais aussi de mon engagement et de mon expérience des inégalités devant la mort. L’amélioration de la loi est nécessaire pour que chacun puisse décider du devenir de son corps, comme chacun peut le faire pour ses biens.

Nos patients nous apostrophent souvent ainsi : «Vous savez, docteur, quand je ne pourrai plus vivre comme je le désire, je compte bien sur vous», ou encore : «Pas question que je souffre ou que je reste comme un légume, comme mon père, ma mère, mon oncle», etc. Il m’arrive alors de prendre la personne au mot en lui demandant de me rédiger un écrit, un testament de vie ou des volontés anticipées, et de me le rapporter, mais bien peu le font.

C’est bien différent quand s’annoncent les diagnostics lourds, les demandes d’examens complémentaires, les scanners pour la «petite» boule ou les tubes pour voir où «ça saigne». C’est alors que la mort s’impose, même si ce rappel n’est pas immédiatement menaçant. Certaines personnes s’inquiètent alors de leur accompagnement et de notre capacité à le faire jusqu’au bout. La plupart ne connaissent de la mort que celle de leurs proches ; elles ont rarement vécu tout le déroulement d’une maladie. Ceux qui ont déjà accompagné quelqu’un sont les plus motivés à vouloir une mort autonome et décidée. Une fois acquise la certitude que le médecin sera là en temps voulu, le patient peut alors affronter sa maladie et accepter des traitements parfois très lourds et invalidants qui peuvent aider à la vaincre ou à la limiter. Il est clair que la certitude de ne pas être lâché en route est un facteur d’efficacité dans la résistance contre l’agressivité de la maladie.

J’entends ainsi notre rôle principal d’accompagnant : assurer à la personne que nous ne l’abandonnerons pas quand les choses iront mal, que nous serons toujours à l’écoute de sa douleur, de ses difficultés, et surtout de sa volonté… Tout au long d’une maladie grave, il faut prendre des décisions, et le généraliste a le rôle de conseiller technique, parfois aussi d’avocat face à d’autres médecins plus interventionnistes, moins à l’écoute.

C’est au cours de l’évolution que se bâtit cette confiance réciproque qui peut donc amener certains à demander une aide active à partir quand ils savent que le reste du chemin n’est plus praticable pour eux.

La difficulté vient de deux ou trois raisons : les liens affectifs que nous établissons avec les patients sont plus importants que nous croyons. Nous sommes convaincus d’avoir un recul professionnel suffisant, protégés par la technique, grâce aux équipes, voire en fréquentant des groupes Balint [^2], mais nous sommes aussi mis devant notre incapacité à prévoir chez chacun l’impact de la maladie, ainsi que sa durée d’évolution, ce qui nous rend malheureux, pleutres, voire hypocrites. Difficile en effet d’accepter que la grosse métastase cérébrale n’entraîne pas de troubles neurologiques, que le cancer osseux n’entraîne pas de douleurs et, a contrario, qu’une atteinte frontale puisse être si douloureuse sur le plan moral. Et ainsi, face à notre «incompétence frustrante» en matière de pronostic, nous devons aussi gérer les relations entre le patient et son entourage ; le corps parle, le malade l’entend, le ressent, mais pas sa famille ni ses amis, qui gardent évidemment toujours un espoir de stabilisation ou de guérison, et acceptent mal que nous accompagnions notre patient dans sa demande alors jugée abusive ou anticipée.

Et pourtant l’accompagnement est bien au centre de notre profession ; c’est lui qui va justifier que parfois nous aidions la personne, passivement ou activement, à décrocher. Comment imaginer qu’après plusieurs mois ou années de connivence, de collaboration, de stratégies, nous le laissions au moment le plus difficile entre les mains d’autres médecins, tout «neufs» pour lui, qui s’autorisent à gérer ce qui reste de vie en lui imposant des techniques ou des comportements intrusifs, comme c’est trop souvent le cas dans les services de soins palliatifs ?

[^2]: Groupe de parole animé par deux leaders de formation psychanalytique, accueillant une dizaine de soignants.

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