« Au bout du rouleau ! »

Le gouvernement veut améliorer l’emploi des plus de 60 ans. Mais les seniors veulent-ils et peuvent-ils vraiment travailler plus longtemps ? Témoignages.

Jean-Baptiste Quiot  • 22 mai 2008 abonné·es

Nicole Ansquer, 53 ans, aide-soignante en gériatrie à Douarnenez, dans le Finistère

« Comment voulez-vous travailler plus longtemps alors qu’on ne vous donne plus rien une fois qu’on a vous a cassé ? Je ne travaille plus depuis mon accident du travail d’août 2004 (1). Mon employeur estime que je n’en suis plus capable. J’ai pourtant longtemps été “capable”. Nous n’étions en effet que deux aides-soignantes à travailler de nuit pour 80 résidents. C’était une sollicitation et un stress de chaque instant. Avec cette charge de travail, il est normal que l’organisme s’use et que des accidents finissent par survenir.
Alors, moi, je veux bien qu’on allonge la durée de la vie au travail, mais encore faudrait-il qu’on puisse aussi allonger la durée et la capacité de l’organisme. Et après 50 ans, c’est difficile. Ce qu’il faudrait faire, c’est améliorer les conditions de travail et en particulier les adapter à l’âge des salariés. Mais ça, personne ne veut l’entendre. « Faut pas rêvez ! » , c’est ce que m’a dit la directrice des ressources humaines quand je suis allée la voir pour reprendre mon poste alors que la douleur s’était atténuée. « Avec vos douleurs, vous ne pouvez plus travailler ici » , a-t-elle continué. Et quand je lui ai demandé s’il m’était possible d’entamer une formation, elle m’a répondu : « Mais madame, vous avez vu votre âge ? »
Depuis avril 2007, mon handicap est considéré comme une maladie et non plus comme un accident du travail. Pourtant c’est le travail intensif qui en est la cause ! Quand j’ai alerté, à plusieurs reprises, la direction sur mes conditions de travail, elle mettait toujours en avant une question de budget ou alors mon âge : « Si vous trouvez le travail trop difficile, vous n’avez qu’à arrêter » , me répondait-elle. Maintenant, je ne peux plus cotiser pour ma retraite. Et cela alors qu’il me manquait seulement une année pour atteindre les 41 ans de cotisation indispensables à une retraite à taux plein. »

Bruno Paillat, 48 ans, salarié dans une usine d’ameublement à Mouchamps, en Vendée

« Quand on travaille dans une usine, à 60 ans, on est au bout du rouleau ! L’argent n’est pas une motivation suffisante pour travailler au-delà de cet âge. Depuis l’accord de 2003 sur les retraites, tous ceux qui ont pu bénéficier d’un départ anticipé en ont profité. Les salariés sont fatigués et préfèrent partir en bonne santé quitte à se contenter de pas grand-chose.
D’ailleurs les employeurs font tout pour que les gens partent à la retraite avant 60 ans. Ce qui les intéresse, c’est la rentabilité et des salariés physiquement dans la force de l’âge. C’est dommage parce qu’avec les gens qui partent en préretraite l’entreprise perd en termes de compétence et de savoir. De mon point de vue, ça ne me gênerait pas de travailler après 60 ans, mais surtout pas dans un travail pénible ! Pourquoi pas dans un poste adapté à l’âge, comme, par exemple, du tutorat ou du parrainage pour aider les jeunes à s’intégrer ? Mais je ne pourrais plus travailler à la chaîne. Huit heures à faire la même chose, c’est usant physiquement. Surtout avec la nouvelle organisation du travail qui sévit depuis 1985 et qui rime avec intensification et flexibilité. On n’a plus de vie de famille, et mentalement c’est très dur. Un ouvrier à la chaîne, quand il rentre chez lui le soir, comme on dit, il n’a pas envie de faire le jardin : il préfère tout oublier et regarder “Qui veut gagner des millions ?”. »

Antoine Cuttitta, 42 ans, électricien dépanneur dans la sidérurgie à Hayange, en Moselle

« Personnellement, je travaille en discontinu. C’est-à-dire deux jours le matin, deux jours l’après-midi et deux jours de nuit. À 42 ans, j’en ai déjà marre, et le corps n’en peut plus. Alors même si je voulais aller au-delà des 60 ans, physiquement je ne pourrais pas. Dans la sidérurgie, nous sommes soumis à beaucoup de pénibilité. Le bruit, la chaleur, la poussière et maintenant la pression “managériale” : les gens n’en peuvent plus, et dès qu’ils ont la possibilité de partir, ils le font. Chez les 750 salariés qui travaillent sur le site de Hayange, les maladies professionnelles s’accumulent. Depuis 1998, il y a eu 90 dossiers pour l’amiante et 40 pour des TMS (troubles musculo-squelettiques). C’est énorme ! D’ailleurs, la vallée sidérurgique de la Fensch a gagné un surnom : “la vallée du cancer” !
En plus des charges physiques qui pèsent sur le corps, l’organisation du travail est stressante. Les anciens le disent : même si le travail a toujours été physiquement très dur, il existait avant une certaine convivialité. Aujourd’hui, on exige de nous toujours plus d’efforts avec de moins en moins de personnel. Il ne faut pas s’étonner si les gens ont du mal à dormir la nuit et s’ils viennent “la boule au ventre”, le matin, au travail ! »

(1) Nicole a écrit un livre sur son expérience, la Voix d’une douleur, qu’elle présentera le 7 juin, de 10 h à 19 h, à la salle socioculturelle de Le Juch.쇓

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