Cannes 2008 : La palme d’or à « Entre les murs » de Laurent Cantet

Christophe Kantcheff et Ingrid Merckx sont à Cannes pour le Festival du cinéma. Retrouvez chaque jour sur Politis.fr leurs billets en direct de la Croisette.

Cannes 2008  • 25 mai 2008 abonné·es

Dimanche 25 mai 2008

Si la palme d’or attribuée à Entre les murs de Laurent Cantet est réjouissante, le reste du palmarès est décevant.

Par Christophe Kantcheff

Les derniers seront les premiers. Sélectionné après tout le monde, projeté à la fin du festival, Entre les murs de Laurent Cantet remporte donc la palme d’or. Même si le film de l’Israélien Ari Folman, Valse avec Bachir , apparaissait comme le plus marquant de la compétition (pour se retrouver au final scandaleusement écarté du palmarès), la distinction du film français n’est pas usurpée.

Illustration - Cannes 2008 : La palme d'or à « Entre les murs » de Laurent Cantet

Adapté du livre de François Bégaudeau (chez Verticales, en 2006), qui interprète lui-même le rôle du professeur de français, François Marin, « en face » de sa classe de 4ème, le film tient la gageure du huis clos dans un établissement scolaire du XXème arrondissement de Paris, tout en étant une caisse de résonance de la société française. Dynamique, gorgé d’énergie, souvent drôle, et totalement dénué de démagogie, Entre les murs n’enjolive pas la réalité de l’école, avec ses échecs et sa mécanique d’exclusion, mais donne aussi à voir des adolescents réactifs, intelligents, présents au monde et à leur prof. Entre les murs est une fiction, et les jeunes comédiens, qui se sont initialement entraînés dans des séances d’improvisation avec le cinéaste, sont très convaincants. Ils méritent tous un 20/20.

Malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour Sean Penn, et pour certains des jurés qui l’ont entouré, comme le cinéaste Apichatpong Weerasethakul, le palmarès, ensuite, perd en allure.

Commençons par le plus modeste des prix décernés, celui du scénario. Attribué au Silence de Lorna , de Jean-Pierre et Luc Dardenne, c’est franchement sous-estimé. Même si les frères belges ont déjà remporté deux fois la Palme d’or ( l’Enfant en 2005, Rosetta en 1999), leur capacité à rester au sommet de leur art sans se répéter force l’admiration.

Ce portrait d’une jeune Albanaise récemment naturalisée Belge (Arta Dobroshi), et qui se rend complice d’un meurtre sans avoir le courage de le dénoncer, porte plusieurs audaces. En ce qui concerne la transformation de Lorna, d’abord, qui s’humanise sans pour autant devenir irréprochable. C’est que les Dardenne sont de formidables cinéastes de la complexité humaine, qui chez eux n’est jamais montrée de manière prétentieuse ou absconse. Sur l’écriture du film ensuite, qui ose une ellipse déstabilisante et la disparition d’un personnage masculin important (interprété par Jérémie Renier).

Si l’attribution du prix d’interprétation féminine à la Brésilienne Sandra Corveloni pour son rôle dans Linha de Passe de Walter Salles et Daniela Thomas est une totale surprise, le prix allant au comédien américain d’origine portoricaine Benicio Del Toro, pour son rôle d’Ernesto Guevara dans Che de Steven Soderbergh, n’étonne guère. C’est, pour Sean Penn, une manière de saluer ce film dédié à une figure politique révolutionnaire, sans pour autant décerner une palme d’or à un film de plus de 4h30, qui se perd dans sa seconde partie. Le hic, c’est que la prestation de Benicio Del Toro n’est pas franchement transcendante…

Le prix du jury distingue un autre film dont le héros est un personnage politique : Il Divo de l’Italien Paolo Sorrentino. Intéressant sur le papier – une charge contre le chef indestructible de la démocratie-chrétienne italienne, Giulio Andreotti –, le film, comme toujours chez ce cinéaste, est gâché par le clinquant et l’esthétique clip de la mise en scène. Quant au prix de la mise en scène, qui revient aux Trois singes du Turc Nuri Bilge Ceylan, il récompense un film, qui raconte l’histoire d’un adultère, étouffé par sa perfection plastique (en HD), trop ostensiblement conçu comme « une grande œuvre d’art » pour parvenir encore à respirer.

Passons vite sur les prix spéciaux décernés à Catherine Deneuve et à Clint Eastwood, pour l’ensemble de leur carrière, qui sonnent comme des prix de consolation, surtout pour Eastwood, dont beaucoup voyaient son Échange , pourtant sans inspiration, au palmarès.

Enfin, le grand prix (c’est-à-dire le 2ème prix en ordre d’importance, après la Palme) à Gomorra , de l’Italien Matteo Garrone, fait beaucoup d’honneur à un film qui a certes des qualités, mais qui aurait pu être salué à un échelon moindre (le prix du jury par exemple). Gomorra , écrit à partir du livre éponyme de Roberto Saviano, qui a révélé l’étendue du poison que constitue la mafia napolitaine, est surtout très convaincant dans sa première partie, la plus documentaire, qui montre comment la Camorra tient sous son emprise des quartiers entiers.

Quant à la Caméra d’or, consacrée à un premier film en lice dans toute les sélections et dont le président du jury était le cinéaste Bruno Dumont, elle récompense le très impressionnant Hunger , de l’artiste britannique Steve McQueen, qui faisait l’ouverture d’un Certain regard. Ce film, qui revient sur les conditions des détenus républicains irlandais au début des années 1980, et sur la grève de la faim de Bobby Sands, est d’une force esthétique impressionnante, avec une séquence de plus d’un quart d’heure, un tête-à-tête entre un prêtre et Bobby Sands, où il est question de façon magistrale de lutte politique, d’éthique, d’espoir, et de mort programmée.

Ici s’arrête notre chronique du festival de Cannes 2008. Rendez-vous jeudi prochain dans le journal papier, où nous évoquerons également certains des films injustement exclus du palmarès.

C.K.

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