Conte de Noël : Dans le confort des mauvais sentiments

Dans « Conte de Noël », Arnaud Desplechin met en scène une famille toujours minée par la mort précoce du fils aîné. Si le film ne manque pas de brio, il ne parvient pas à la hauteur de ses intentions.

Christophe Kantcheff  • 22 mai 2008 abonné·es

On ne peut reprocher à Arnaud Desplechin de manquer d’ambition, ni de ne pas croire dans l’efficacité esthétique de son art. Conte de Noël , comme la plupart des films de Desplechin, n’avance pas en terrain balisé. Il relève de la tentative de produire un langage singulier, ce qui n’est pas si courant pour ne pas être salué. Et avec une confiance telle dans les moyens qu’il met en œuvre – plusieurs scènes sont remarquables – qu’on se reprocherait presque de ne pas en sortir plus convaincu. Hélas, l’ensemble ne vibre pas. Ce Conte de Noël n’enchante guère ni n’effraie. D’où vient le problème ?
D’abord, d’une de ses caractéristiques principales qui en fait aussi sa limite : sa forte dimension psy. La famille Vuillard – Junon et Abel, les parents, et leurs enfants, Elizabeth, Henri et Yvan – a été définitivement marquée par la mort en bas âge d’un premier fils, Joseph. Cette mort a empêché Junon d’aimer les « survivants », et ceux-ci ne s’en sont jamais remis. Bien que très peu évoqué explicitement par les personnages du film, tous réunis pour Noël, Joseph en est pourtant une figure constamment présente, écrasante même. C’est autour de sa présence/absence que les enfants Vuillard, devenus adultes, se cherchent, s’opposent, se déchirent. La situation est évidemment très forte, mais le film ne parvient jamais à sortir de cet horizon psychanalytique. Même dans sa forme segmentée, presque saccadée, comme s’il était constitué de mini-sketchs accolés, il pourrait évoquer les illuminations du discours analytique. Mais sans la teneur de telles révélations. Au contraire, il tourne sans cesse sur lui-même. Comme si finalement se rejouait toujours la même scène.

Rien, dans le cours du film, ne vient transformer les personnages. Elizabeth (Anne Consigny, qu’Arnaud Desplechin filme sans tendresse) reste une femme malheureuse et consciente que quelque chose ne tourne pas rond en elle ; Yvan (Melvil Poupaud) aime tout le monde et ne s’aperçoit même pas que sa femme (Chiara Mastroianni) le trompe la nuit de Noël avec son cousin Simon (Laurent Capelluto) ; et Henri (Mathieu Amalric) se complaît à être détestable et détesté. Junon (Catherine Deneuve) continue à ne pas aimer ses enfants, tandis qu’Abel (Jean-Paul Roussillon, comédien impérial), en patriarche impuissant, plus témoin qu’acteur, sorte de clown blanc d’une famille minée, énonce des sentences parfois assassines.
Mais Conte de Noël ne souffre pas seulement de faire du surplace. Il regarde ses personnages se débattre comme on observe des poissons rouges à travers la vitre d’un aquarium. Et n’assume pas les béances qu’il semble ouvrir.

Par exemple, quelle vision de la famille porte-t-il ? « Tu es un homme seul. Rêve pas, t’as pas de famille » , lance Faunia (Emmanuelle Devos), sa petite amie, à Henri, alors qu’elle-même rejoint sa famille, qu’elle dit pourtant ne pas supporter, le soir du réveillon. Rien n’est plus faux. Henri s’est constitué tel qu’il est par rapport à sa famille, et en conscience du manque d’amour de sa mère. D’où l’arrogance et la perfidie dont il est prodigue, envers Junon en particulier, au travers de réparties d’une méchanceté qui confine à l’humour noir. À sa manière grunge et vacharde, la famille Vuillard est indestructible, et le tableau d’ensemble qu’elle présente finit par ressembler à celui de la « sainte famille » inversée. D’où l’impression du spectateur de ne pas la trouver si dérangeante, et d’assister finalement à un éloge de la famille on ne peut plus consensuel. De même, le film se fait un malin plaisir à mettre en scène le cynisme, en ayant soin de prendre ses distances avec lui, tout en profitant du spectacle corrosif, sinon jubilatoire, qu’il génère.

Certaines œuvres exigent beaucoup de leurs spectateurs. Elles se livrent peu explicitement, mais sont suffisamment accueillantes pour que les regards désireux de s’impliquer y trouvent des richesses. Conte de Noël, au contraire, fournit beaucoup d’informations factuelles, sur les personnages, leur histoire, la situation. Mais le spectateur ne sait pas toujours quoi en faire, y reste extérieur. Ainsi, Junon, atteinte d’une maladie qui demande une greffe de la moelle osseuse, a besoin d’un donneur compatible au sein de sa famille. Henri est celui-ci. On apprendra tout sur cette maladie, la myélodisplasie. Mais on ne saura jamais si cette compatibilié inédite entre la mère et son fils sera l’occasion d’une (re)naissance entre elle et lui. Pour cela, il aurait fallu qu’Arnaud Desplechin fasse un choix conséquent, s’engage davantage dans son film, ose un changement de ton, une fausse note, du (vrai) mauvais goût. Bref, que le cinéaste accepte de prendre beaucoup plus de risques.

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