La dérive du Crédit agricole

La banque coopérative connaît des résultats désastreux, dûs à un virage libéral en contradiction avec les valeurs mutualistes dont elle se réclame.

Thierry Brun  • 29 mai 2008 abonné·es

La référence courante au modèle alternatif au capitalisme qu’est l’économie sociale se trouve pour le moins malmenée ces derniers mois dans le secteur bancaire coopératif. Les résultats calamiteux avoués récemment par le groupe Crédit agricole (CASA) révèlent une spectaculaire instrumentalisation des valeurs mutualistes. Pourtant, la banque coopérative figure toujours en bonne place dans les ouvrages de référence de l’économie sociale (coopératives, mutuelles et associations).

Peu médiatisé, le plongeon de la banque verte constitue cependant un record. La première banque française, et cinquième banque mondiale, doit cette situation exceptionnelle à un libéralisme débridé voulu par ses dirigeants. Annonçant les résultats trimestriels du groupe, Georges Pauget, directeur général de CASA, a modestement reconnu des «erreurs dans l’appréciation du risque» des produits financiers adossés à des crédits américains «subprime». La banque verte accuse une perte colossale de 4,5~milliards d’euros en six mois ! En comparaison, il a fallu un Jérôme Kerviel pour faire plonger la Société générale de 4,9~milliards d’euros…

CASA, dont les principaux actionnaires sont les caisses régionales (54,9~%), a aussi annoncé une augmentation de capital de 5,9~milliards d’euros après avoir procédé à une émission d’actions préférentielles pour un montant de 3,6~milliards d’euros. Autrement dit, les caisses régionales doivent mettre à nouveau la main à la poche. «Le Crédit agricole est piégé, comme d’autres, dans une galaxie d’opérateurs sans contrôle réel. Nous mettons aujourd’hui ses dirigeants au défi d’expliquer en toute transparence à ses sociétaires, à ses cadres, à ses salariés, à ses clients la réalité de ses comptes», indiquait dès janvier la CGT des caisses locales du CA de Normandie. Ce syndicat alerte depuis plusieurs mois les dirigeants du groupe ainsi que les salariés «sur la contradiction entre les choix et les orientations de développement et les valeurs mutualistes qui ont fait la réussite du Crédit agricole et dont il continue à se prévaloir dans sa communication».

Cela n’a pas empêché les dirigeants de CASA de flouer 5,7~millions de sociétaires et 162~000~salariés inquiets pour leur avenir. «Comment peut-on faire confiance aux orientations stratégiques des dirigeants du Crédit agricole quand ceux-ci renient à tout moment les principes mutualistes fondateurs des caisses locales et régionales ?», s’interroge la CGT. «Conséquence, des postes sont supprimés au moment des départs en retraite, constate Denis Marion, secrétaire général de SUD-CAM. Les services sont regroupés et certains sont supprimés. Il n’y a pas de licenciements, mais notre caisse régionale de Normandie est passée de 2~200 emplois à 2~100 en trois ans. Pendant ce temps, les dirigeants touchent le jackpot.» Georges Pauget a vu ainsi son salaire augmenter de 30~%, et celui-ci s’élève à 1,93~million d’euros annuel, révèle la CGT. «Les conseils d’administration sont tenus par les FDSEA [^2], ajoute Denis Marion. Sachez qu’au conseil d’administration de CASA il y a 18~administrateurs élus par l’assemblée générale plus le représentant de la FNSEA. De quel droit ?»

[^2]: Fédérations départementales des syndicats d’exploitants agricoles.

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