Le débat continue

Olivier Doubre  • 22 mai 2008 abonné·es

Les héritages sont souvent sources de conflits, et Mai 68 ne déroge certainement pas à la règle. Spécialiste des « années 68 » , catégorie historique qu’elle a largement contribué à forger dans les années 1990 [^2], l’historienne Michelle Zancarini-Fournel s’est attachée à parcourir de façon exhaustive les pléthoriques interprétations, commentaires et analyses de ce « moment 68 », qui – on l’a vu à nouveau lors de la dernière campagne présidentielle avec la charge de Nicolas Sarkozy appelant tout bonnement à en « liquider l’héritage » – continue de susciter la polémique. L’ouvrage, particulièrement riche, passe ainsi en revue quarante ans d’articles et de pamphlets en tous genres. Il retrace l’évolution, en particulier à chaque commémoration décennale, du regard des historiens, essayistes, hommes politiques, intellectuels ou journalistes, sur Mai 68, « référence omniprésente » des débats politiques de ces dernières décennies, événement dont « le procès est instruit en permanence » et qui conserve sa « force persistante de clivage » , voire un « rôle de “repoussoir” » … L’auteure décrit ainsi les différentes séquences qui marquent les discours sur 68, depuis de la « fabrication d’une doxa sur les événements » , et examine les conditions « de possibilité d’une écriture proprement historienne de ce moment » , au-delà de toute « mythologie ».

À partir des multiples « sources nécessaires pour écrire cette histoire », l’ouvrage propose une synthèse détaillée des grandes lignées interprétatives de l’événement. Tout en soulignant le fait qu’à notre époque « les usages mémoriaux, sociaux et politiques de l’histoire » se sont particulièrement « intensifiés » , il s’agit pour Michelle Zancarini-Fournel de « rendre l’événement intelligible par les mises en paroles et discours successifs ». L’historienne tente ainsi, avec force et brio, de réaliser une véritable « cartographie de ces mises en récits » . Essai transformé à bien des titres, son livre n’en est que plus précieux, rendant de fait caduques les envies – très politiques – de liquidation du « moment 68 » , qui, quoi qu’en disent les prétendus liquidateurs, marque durablement notre histoire. Ah…le « bel héritage » , disions-nous dans Politis l’été dernier !

[^2]: Les « Années 68 ». Le temps de la contestation, G. Dreyfus-Armand, R. Franck, M.-F. Lévy et M. Zancarini-Fournel (dir.), Complexe/Institut de l’histoire du temps présent (2000) vient d’être réédité.

Idées
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