Pour ceux qui veulent comprendre

Ni procureur ni avocat, Khaled Hroub, enseignant à Cambridge, retrace l’histoire du Hamas et pointe les ambivalences du mouvement islamiste, nationaliste et religieux. Un livre utile.

Denis Sieffert  • 22 mai 2008 abonné·es

Dans l’histoire publique du Hamas, trois dates retiennent l’attention : celle de sa création, le 14 décembre 1987 ; celle de sa victoire électorale, le 26 janvier 2006 ; et une autre, moins glorieuse, celle de ce que l’on appelle « le coup de force de Gaza », en juin 2007, quand le Mouvement de résistance islamique a pris le contrôle de l’étroit territoire au terme d’affrontements violents avec le Fatah. Le mérite de Khaled Hroub, qui publie chez Demopolis l’ouvrage le plus complet écrit à ce jour sur le Hamas, est de montrer que ces événements qui alimentent la glose journalistique sont évidemment le produit de processus lents qui n’entrent que trop rarement dans le champ médiatique. Le contresens tragique, parfois involontaire, souvent délibéré, des experts plus ou moins bien intentionnés sur le sujet consiste en une série d’explications endogènes. Le Hamas s’expliquerait en quelque sorte par lui-même : par sa charte qui promet la destruction d’Israël, par son idéologie, voire par une lecture littérale du Coran. Khaled Hroub nous montre au contraire que le principal mouvement islamiste palestinien n’évolue qu’en réaction à des événements extérieurs. Nul n’est moins prédestiné que lui. Issu des Frères musulmans égyptiens, dont il est une ramification née en 1948, il n’avait aucune vocation à verser dans la politique, et moins encore dans la résistance nationale. Si les « Frères de Palestine », piétistes, tournés vers le social, et sortant peu des mosquées, s’engagent dans la lutte contre l’occupant israélien, c’est sous la pression conjuguée de la première Intifada et de la répression israélienne.

S’il se lance dans la lutte armée, voire dans les attentats-suicides, c’est en raison de l’échec de la stratégie diplomatico-politique de l’OLP et du Fatah de Yasser Arafat. Autrement dit, cet engagement résulte directement des rebuffades et des humiliations infligées par Israël à celui qui a fait le choix de renoncer à 78 % de la Palestine mandataire. C’est Israël, la communauté internationale et, à certains égards, le Fatah par les pratiques qui le discréditent aux yeux de son peuple qui « font » le Hamas. Car le mouvement islamiste offre par lui-même assez d’ambivalences idéologiques pour permettre, au gré des circonstances et des rapports de forces, bien des évolutions. En exhumant des textes politiques produits par le Hamas, Khaled Hroub met notamment en évidence la double nature du mouvement, au fond beaucoup plus nationaliste qu’islamiste. Ici, et contrairement à une idée reçue, pas de déclarations « antijuives » mais un antisionisme virulent. Ici, nulle référence explicite à un projet d’islamisation de la société palestinienne. Le Hamas disait de lui-même, quelque temps avant son succès électoral de janvier 2006, qu’il était « une organisation populaire à caractère politique, culturel et social, dont une fraction militaire séparée se consacre à la résistance armée contre l’occupation ».

Mais cette ambivalence où domine le caractère nationaliste se retrouve évidemment dans la composition du mouvement et dans ses courants, les uns portés à l’intégration politique, les autres à une radicalité militaire. Leur influence au sein du Hamas dépend en grande partie de facteurs externes. Ni Israël, ni la communauté internationale, ni vraisemblablement l’Autorité palestinienne, dominée par le Fatah, n’ont admis le résultat des élections au Conseil législatif palestinien, en janvier 2006. Alors que le mouvement était en train de se modifier en profondeur, ceux qui auraient dû être ses interlocuteurs ont préféré l’anathème et l’isolement. Au lieu d’accompagner son intégration dans le jeu politique et une reconnaissance d’Israël qui était déjà un fait, puisque le Hamas se référait aux résolutions des Nations unies et aux frontières de 1967, ceux-là ont rejeté le Hamas vers ses radicaux. Khaled Hroub reconstitue les circonstances du « coup de force de Gaza ». Il fait la part des responsabilités qu’on ne peut rechercher seulement du côté du Hamas, mais que l’on doit rechercher de ce côté-là aussi. C’est d’ailleurs toute la tonalité de cet ouvrage. Ni avocat, ni procureur, l’auteur nous livre le résultat d’une enquête qui accable finalement au moins autant ceux qui diabolisent le Hamas pour justifier la paralysie de tout processus de paix. C’est un livre contre la peur aveugle. Un appel à la raison.

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