Vitesse supérieure

« Accelerate » est un grand disque, aussi excitant qu’intelligent. Celui d’un R.E.M. vaillamment debout et plus fort que jamais.

Jacques Vincent  • 15 mai 2008 abonné·es

Bien que le groupe ait annoncé par avance un retour aux guitares, ce n’est pas sans appréhension que l’on pose le nouvel album de R.E.M. sur la ­platine. On a encore en mémoire l’amère déception de l’album précédent, Around The Sun , lequel semblait sonner le glas d’un groupe majeur qui nous accompagne depuis tellement longtemps que l’on avait fini par croire pouvoir toujours compter sur lui.

En trois minutes dix secondes, le premier morceau, « Living Best Is The Best Revenge », balaye tout cela et fait table rase du passé récent et des doutes. Peter Buck balance ses arpèges au revolver, la basse de Mike Mills, dont on ne louera jamais assez les qualités, est une grosse cylindrée lancée dans des montagnes russes, et Michael Stipe dirige cette course éperdue comme un capitaine de vaisseau menant son équipage tambour battant et le poing tendu. La suite arrive dans la foulée. « Man-Sized Wreath », dans le plus pur style R.E.M., mêle la puissance des guitares à la subtilité des arrangements vocaux, et « Supernatural Superserious » est tout en accords hachés à la façon du « I Can’t Explain » des Who, auxquels R.E.M. fait souvent penser dans ses moments les plus forts.

Après la tornade des trois premiers morceaux, « Hollow Man » et « Houston » sont d’un calme relatif malgré la guitare orageuse de Peter Buck ; les harmonies vocales sont belles à pleurer.

C’est une électricité plus dure et ­sombre qui préside ensuite à « Accelerate », des riffs comme des coups des coups de griffe qui arrachent des lambeaux à quelques plaques métalliques. On prend conscience à ce moment que toute ­l’énergie déployée n’est pas qu’une énergie joyeuse, le groupe est trop en prise directe avec le monde qui l’entoure pour que ce soit le cas, mais une énergie positive, libératrice, une énergie pour tenir debout. Et garder les yeux ouverts. Pour résister aux mensonges et aux manipulations.

Deux morceaux abordent d’ailleurs des ­thèmes explicitement politiques. « Mr. Richards » met en scène un homme politique aux agissements douteux à qui il est dit et répété, pour qu’il le comprenne bien, que « nous savons ce qui se passe » et qu’il se « trompe s’il pense que nous allons juste oublier » . Et « Houston » commence par cette phrase : « Si la tornade ne me tue pas/Le gouvernement le fera. » Une référence à l’ouragan Katrina et à la façon dont les conséquences ont été prises en compte par l’administration Bush, mais dans laquelle on peut aussi voir un sens plus large tellement elle résume parfaitement le monde actuel pour beaucoup de gens.
« Sing For The Submarine » est ensuite d’une beauté déchirée, lancinante et douloureuse. Puis, avec « Horse On The Water » et « I’m Gonna DJ », dans un déluge électrique totalement jubilatoire, R.E.M. termine en s’offrant ce luxe presque insolent de rappeler ce qu’on peut faire en deux minutes quand on a tout le talent pour cela. Il n’en reste pas moins que ce disque ne doit pas seulement son titre à une accélération du tempo, mais aussi à celle de la ­désagrégation d’un monde que l’on imaginait nettement différent il n’y a pourtant pas si longtemps.

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