L’avis qui tombe à pic

Le Comité consultatif national d’éthique rejette le dossier médical personnalisé, jugé inefficace et risqué en termes de respect des droits du patient.

Ingrid Merckx  • 19 juin 2008 abonné·es

Non?! Pour le dossier médical personnalisé (DMP), ce sera non. En tout cas pour l’instant, a répondu, le 12 juin, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), à la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, qui l’avait saisi le 19 mars pour « évaluer les risques induits par l’accès électronique des dossiers du patient par les personnels de santé ». « La réflexion sur le dossier médical a démarré il y a quatorze ans, a rappelé le professeur Alain Grimfeld, nouveau président du CCNE depuis février, en présentant l’avis 104 sur le DMP. Elle s’inscrit aujourd’hui dans les dispositions issues de la loi du 13 juillet 2004 relative à l’assurance-maladie, qui n’ont pas encore reçu le décret d’application correspondant. » Elle croise aussi les dispositions législatives du code de la santé publique relatives au secret des informations de santé et aux hébergeurs de données de santé, qui datent du 4 mars 2002. « La première question que nous nous sommes posée, a poursuivi Alain Grimfeld, c’est : le DMP peut-il rendre service à la personne ? » Réponse : pas dans sa forme actuelle. « Le DMP, tel qu’il est proposé, ne permettra pas d’atteindre le but poursuivi, à savoir associer une meilleure coordination des soins conduisant à une amélioration de leur efficience, de leur qualité, avec une meilleure utilisation des dépenses pour un coût identique ou diminué. »

C’est manifeste, le CCNE n’entend pas aider l’État à dissimuler ses objectifs d’économie derrière une volonté affichée de meilleure coordination des soins. Car, premier problème éthique invoqué : le coût du DMP.« Nous avons pris soin de ne pas opposer bonne éthique à mauvaise économie,
a précisé Pierre Le Coz, membre du CCNE et rapporteur de l’avis n° 104. Mais nous renvoyons à l’avis 101 du CCNE sur Santé, éthique et argent, pour demander s’il est opportun d’engager des sommes colossales dans ce dispositif dans un contexte de pénurie. » L’avis 104 précise : « C’est précisément au nom de l’exigence de solidarité nationale que la société est en droit d’escompter que le DMP n’aggrave pas les coûts publics en matière de santé. » Sans compter que certaines priorités en matière de santé tardent à trouver leur financement. Par ailleurs, le CCNE s’avoue « perplexe et sceptique » sur l’idée d’imposer le DMP à toute une population du fait, entre autres, du risque que l’informatisation des données médicales fait peser sur la relation patient-médecin ; du fait aussi de l’exigence éthique du respect du droit des patients à masquer certaines données les concernant (non exhaustif, sera-t-il utile ?) ; et du fait enfin qu’aucun système informatique n’apporte de bonnes garanties de fonctionnement et de confidentialité. Le DMP pourrait constituer une « banque de données » dont on ne peut « préjuger de l’usage, demain, par l’industrie pharmaceutique, les assurances, la sécurité, l’État ». En outre, il ne pourrait avoir des retombées économiques que s’il suscitait une large adhésion des personnes et des professionnels de santé. Or, ces derniers disposent d’autres outils. Et, pour les usagers, « l’incitation par la sanction pour l’imposer serait sans doute contre-productive ».

« Si le gouvernement veut imposer le DMP, il lui faudra peut-être changer la loi » , a glissé un membre du CCNE. Enfin, le CCNE se demande si, dans l’état actuel des choses, « le projet de DMP ne postule pas l’existence d’une société plus fictive que réelle […], où chacun bénéficie d’une connexion Internet, souhaite avoir accès à son dossier, comprend les informations médicales qui s’y trouvent […], retient son numéro d’accès et ne le confie à personne d’autre… » En résumé, le DMP « ferait de nous tous des gens virtuellement malades ».
Toutefois, l’outil « dossier médical informatisé » pourrait être utile à un certain nombre de personnes atteintes de maladie rares, orphelines ou chroniques, ou sans domicile fixe. Pour celles-là, et celles-là seules, le CCNE propose de réfléchir à la mise en place d’un système informatisé, mais uniquement sur la base du volontariat. Sous la présidence de Didier Sicard, le CCNE s’était illustré par des prises de positions courageuses concernant, notamment, la fin de vie, la condamnation des tests ADN et la biométrie. En introduction, Alain Grimfeld a tenu à préciser qu’il prenait sa succession dans un esprit non de rupture mais de continuité. Dont acte, avec cet avis.

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