Naturellement précieux

Le parc naturel régional de Brière, en Loire-Atlantique, est menacé par les promoteurs et les chasseurs. Mais les défenseurs de cet espace fascinant veillent à la sauvegarde de ses richesses et de ses traditions.

Claude-Marie Vadrot  • 26 juin 2008 abonné·es

À sa création, en 1970, nul ne prédisait longue vie au parc naturel régional de Brière, l’un des premiers. Olivier Guichard, alors indéracinable maire de La Baule, ancien ministre et aménageur fou du gaullisme, envisageait la construction d’une voie rapide pour traverser les marais, qui constituent l’originalité écologique, historique et sociale du lieu, y compris les marais salants, qui contribuent à l’équilibre économique et naturel de l’arrière-pays.

Tout autour de Saint-Nazaire, les plages où se prélassent les estivants, bordées d’immeubles de vacances, ont massacré ce littoral de Loire-Atlantique ; et les pêcheurs gêneurs ont été repoussés pour faire place aux nombreux bateaux de plaisance qui ne sortent en mer que dix jours par an. Aménageurs, chasseurs et promoteurs se liguent depuis trente-huit ans pour éliminer l’un des rares parcs naturels régionaux français dotés d’une cohérence écologique et géographique : leurs pressions restent perceptibles, même s’ils ne sont plus «à la mode».

Illustration - Naturellement précieux


Le parc naturel régional de Brière abrite des milliers d’oiseaux, des loutres et des poissons. CLAUDE-MARIE VADROT

Les chasseurs et leurs amis ne reculent devant rien : en août~2000, pour contester la création d’une réserve naturelle, ils ont incendié la Maison du parc. Elle fut entièrement détruite, les archives ont été perdues, et l’équipe n’a intégré les nouveaux locaux qu’à l’automne 2002. Entre-temps, le 14~août 2001, en guise de célébration anniversaire, les chasseurs ont massacré des centaines d’oiseaux protégés. À force de s’en vanter dans les bistrots, certains ont fini par se retrouver devant un tribunal, qui leur a gentiment infligé quelques courtes suspensions de permis de chasse. Quant aux incendiaires, connus, ils courent toujours, la gendarmerie ayant «échoué» à les confondre. Dans le marais, on évite de critiquer publiquement ces excités de la gâchette, ou on part…

Bien que né en Brière, ce qui le protège parfois, le directeur du parc, Bernard Guihéneuf, est ressenti comme un «traître» par de nombreux habitants. Il avance donc en souriant que sa qualité principale doit être la diplomatie pour réussir à faire respecter la nature dans ce marais unique en France. François II, duc de Bretagne, en fit cadeau à tous les Briérons en 1461, une propriété indivis confirmée par sa fille Anne de Bretagne. Chacun est donc ici copropriétaire des 6~850~hectares du marais de Grande-Brière-Mottière, au cœur d’une dépression marécageuse de 19~000~hectares, trésor de biodiversité. Sous le soleil printanier, la nature est superbe ; l’hiver, ce même milieu devient hostile, humide, pas glacial mais glaçant. De quoi expliquer le repli des habitants, leur méfiance envers «l’étranger», le touriste, le journaliste. Au début du XXe siècle, dans ce marais parsemé d’îles, il restait impensable de se marier ailleurs que dans son île natale. Le contraire menait au drame, comme le raconte, version moderne de Roméo et Juliette , le roman la Brière, d’Alphonse de Châteaubriant, couronné par l’Académie française en 1923 et vendu à 600~000~exemplaires.

Les Briérons, touchés par l’exode rural, furent à l’origine, grâce à leur caractère bien trempé, de l’anarcho-syndicalisme des usines de Saint-Nazaire. Alors que diminuaient progressivement le transport des animaux sur les îles qu’ils entretenaient, et l’exploitation de la tourbe, de la pêche et des roseaux couvrant les maisons. Tout ce que le parc s’efforce aujourd’hui de réinventer, pour entretenir la nature et renforcer le maintien des habitants d’origine.

Reste de cette aventure historique et sociale, sauvé par une équipe passionnée, un parc haï, décrié, loué et envié, un parc fascinant si l’on persévère dans sa découverte, au-delà des rebuffades. Il abrite des milliers d’oiseaux, des loutres et des poissons, qui ne sont plus pêchés que pour les touristes. Et, peu à peu, les anciennes «chaumières» de la région se couvrent à nouveau de roseaux grâce au sauvetage, de justesse, d’un métier qui procure aujourd’hui une centaine d’emplois. Des milliers de toits de roseaux qui attirent les bobos de la région en faisant grimper le prix du foncier et des maisons. Symbole de pauvreté autrefois, la toiture de chaume est devenue chic.

Le parc est bien vivant, mais il doit faire face aux espèces invasives puisqu’il est à la fois menacé par 150~000~touristes, les ibis sacrés échappés d’un parc privé de la Fondation Hulot et des millions d’écrevisses rouges de Louisiane, malencontreusement introduites, qui dévorent la végétation et les œufs des poissons et des batraciens. Une réglementation aussi stupide que tatillonne interdit de les pêcher et de les commercialiser : alors qu’avec un simple panier à salade, en une demi-heure, n’importe qui en ramasse plusieurs kilos. Délicieuses, avec en plus le charme du fruit défendu.

Visiter le parc de Brière, en tournant le dos aux plages surpeuplées et enlaidies, permet de s’offrir une passionnante plongée dans un milieu naturel foisonnant. Avec, en prime, les contradictions d’un espace mal protégé que ses habitants veulent à la fois «vendre» et préserver. Alors que le chômage menace, que l’agriculture traditionnelle et extensive peine à survivre, et que certains rêvent de construire sur les marais de Guérande.

Écologie
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