Offensive sur les services publics

L’Assemblée nationale adopte une loi sur la généralisation des partenariats public-privé, qui témoigne de la volonté du gouvernement de livrer rapidement au secteur privé la quasi-intégralité des marchés publics.

Thierry Brun  • 26 juin 2008 abonné·es

L’adoption en première lecture d’une loi sur les «contrats de partenariats», prévue ce 26~juin à l’Assemblée nationale, ne fera pas grand bruit. Pourtant, la généralisation de ces contrats, nommés aussi partenariats public-privé (PPP), en dit long sur la volonté gouvernementale de livrer rapidement au secteur privé la quasi-intégralité des marchés publics. Les dates des 25 et 26~juin ont été fixées au dernier moment et ont pris de court l’opposition, les députés de gauche ayant, de plus, à préparer le débat sur le projet de loi déréglementant le temps de travail.

À l’origine, cette loi, déjà adoptée au Sénat en avril, a été écrite sur mesure pour satisfaire la demande pressante de lobbies d’accéder à la commande publique [^2]. «Les majors du BTP et de la finance, très proches du pouvoir politique, voient s’ouvrir un marché énorme, débarrassé des principes des marchés publics» , constate Denis Dessus, vice-président du Conseil national de l’Ordre des architectes. «Il n’y aura plus de concours d’architecture. C’est l’opérateur privé qui choisira le professionnel. Il n’y aura plus d’appels d’offres permettant aux entreprises de proposer leurs meilleures prestations. C’est l’opérateur qui, sans entrave ni besoin de justification, retiendra celles avec qui il veut travailler», explique le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, membre de la commission des lois à l’Assemblée nationale, qui a examiné le texte.

Illustration - Offensive sur les services publics


En février, Rachida Dati présente le partenariat avec Bouygues pour les prisons.
Demarthon/AFP

Le texte «a, en fait, pour objet de généraliser la procédure des PPP à tout marché public, bien au-delà des limites posées par le Conseil constitutionnel. Cette procédure aboutit à confier à un “grand groupe” non seulement la conception [l’architecture] et la totalité de la construction d’un équipement public, mais aussi son financement, son exploitation, sa maintenance et son entretien» , explique le socialiste Jean-Pierre Sueur, qui a bataillé contre le projet de loi au Sénat. Tous les marchés sont concernés : des partenariats pourront être réalisés dans les hôpitaux, les prisons, les écoles, les musées, la police, la recherche et bien d’autres secteurs. Si l’on en croit l’Observatoire économique de l’achat public, en 2006, le montant total des marchés recensés, État et service public local confondus, représentent plus de 59~milliards d’euros, dont 20~milliards relèvent de travaux.

Pourtant, les PPP promus par l’Élysée sont considérés comme des «bombes fiscales à retardement» , prévient Denis Dessus. Celui-ci rappelle que, dans son rapport~2007, la Cour des comptes avait déjà dénoncé la mauvaise utilisation des fonds publics dans ces procédures. «Une forme de cavalerie financière est en train de se mettre en place, qu’on a déjà connue avec l’opération des lycées d’Île-de-France, dont chacun se souvient. Les PPP sont une forme d’investissement qui cache une réalité de surcoûts, insiste le député communiste Roland Muzeau. Passer d’une dépense d’investissement à une dépense de fonctionnement est un procédé qui va grever durablement le budget des collectivités. On sait tous que ces surcoûts sont importants. Ils ont été évalués dans certains cas à 20~%, voire plus.» «Comment accepter, en ces temps de développement durable, une loi qui ferait payer plus cher aux générations futures nos besoins d’aujourd’hui ?» , s’interrogent architectes, ingénieurs-conseils, géomètres experts et économistes de la construction dans une lettre ouverte au président de la République.

À ces critiques, il faut ajouter que la loi sur les PPP introduit une nouveauté idéologique. Elle organise en effet le contraire de la concurrence libre et non faussée promise par les libéraux de l’UMP en chassant des milliers d’entreprises de la procédure traditionnelle de passation des marchés publics. «Moi qui croyais que l’UMP était favorable au libéralisme et donc à la concurrence… Voilà en tout cas un texte qui construit des oligopoles et qui renforce les concentrations !» , s’est exclamé il y a quelques jours le député socialiste Jean-Jacques Urveoas, à l’issue des réunions en commission des lois.

On doit pourtant l’initiative d’un projet de loi aux néolibéraux. L’Élysée n’a eu qu’à reprendre les travaux de l’Institut de la gestion déléguée (IGD), auteur de la «seconde initiative en faveur des PPP» , publiée en octobre~2007. Nicolas Sarkozy en personne a invité le gouvernement à plancher sur les travaux de la mission d’appui aux PPP, animée par Noël de Saint-Pulgent, et à ceux de Claude Martinant, actuel président de l’IGD… Le très libéral Hervé Novelli, actuel secrétaire d’État chargé du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, ex-député qui a exercé la présidence du Groupe d’études parlementaires sur les PPP, a largement contribué à la rédaction du projet de loi. Et ce n’est pas un hasard si Claude Goasguen, vice-président du Groupe d’études parlementaires sur les PPP, a été nommé rapporteur UMP du projet de loi.

La loi «Bouygues» sur les PPP pourra être un des principaux leviers pour réduire de façon drastique le champ des services publics. Elle a été surnommée ainsi depuis l’attribution en PPP de trois projets de construction de prisons à la multinationale Bouygues et à ses filiales. C’était en février, quelques jours après la présentation en Conseil des ministres du projet de loi.

[^2]: Lire «Services publics : dans la gueule du loup», Politis n°~992, du 6~mars.

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