Questions qui fâchent

Des enseignants, des parents et des syndicats s’inquiètent après l’envoi de questionnaires pour le moins indiscrets à des parents d’élèves et des enfants de CM2 et du secondaire. Explications.

Xavier Frison  • 12 juin 2008 abonné·es
Questions qui fâchent
© Snes, FCPE, LDH,

Les questions, soumises à un panel d’élèves de CM2, ont de quoi surprendre : «D’habitude, qui vit avec toi à la maison ?» ; «Ta mère est née… en France… dans un autre pays.» Envoyé à un panel d’enfants dans 80~écoles du territoire par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), officine dépendant de l’Éducation nationale, le questionnaire s’inscrit dans le processus d’évaluations menées régulièrement par cette administration. Retirée aussi discrètement qu’elle avait été proposée à la suite de la mobilisation de parents d’élèves, la sulfureuse «partie~4» du questionnaire n’existe officiellement plus. Mais, à l’heure où les préfectures tendent de véritables pièges aux sans-papiers à leurs guichets (voir Politis n°~1003) et où le renouvellement des cartes d’identité de milliers de Français naturalisés depuis des années se fait dans la douleur, la démarche et la nature des intitulés dérangent.

Illustration - Questions qui fâchent


Des élèves et leurs parents ont été obligés de répondre à des questions sur leurs origines. Fedouach/AFP

Un autre double questionnaire, destiné d’une part à des parents d’élèves du secondaire, d’autre part à 35~000~élèves de 6e, laisse tout aussi songeur : «Où votre enfant est-il né ? — en France — à l’étranger» ; «En quelle année votre enfant est-il arrivé en France ?» ; «Votre enfant est-il ? — né français — devenu français (naturalisation) — étranger» . Voilà pour les questions destinées aux parents, à renvoyer impérativement à la Depp sous peine de sanction financière. Le questionnaire destiné aux élèves du secondaire est, lui, jalousement gardé par la Depp.

Dans les Pyrénées-Atlantiques, à l’école primaire de Monein, concernée par le questionnaire CM2, ce sont les parents qui ont sonné le tocsin : «Tout cela a été fait dans la plus grande opacité» , estime Élise Martos. Même impression de flou dans les collèges concernés par le deuxième questionnaire. Pour Erwan David, secrétaire départemental (64) du Snes second degré, «le questionnaire n’a pas été présenté de manière officielle aux enseignants» . Interrogé, «l’inspecteur d’académie n’est pas capable de nous donner les raisons qui ont conduit à ce questionnaire. On avance masqué» , ajoute-t-il.

Sur l’anonymat promis par la Depp, Erwan David tique : «Comment a-t-on choisi les destinataires de ces questions ? Comment les questionnaires vont-ils être dépouillés ? Comment être sûr que cela va rester anonyme ? Quand on voit la précision de certaines questions, par exemple celles portant sur le nombre d’années de présence en France, on peut avoir l’impression que le but est de croiser ces données avec d’autres fichiers.» Éric Sébastia, instituteur dans les Pyrénées-Atlantiques, trouve la démarche tout aussi *«choquante. On nous a imposé ce questionnaire sans aucune explication. Les parents des enfants concernés par le questionnaire n’étaient absolument pas au courant, nous devions faire passer ça en catimini».

  • Fin mai, la fronde prenait suffisamment d’ampleur pour déclencher une réunion du Snes, de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) avec Daniel Vitry, directeur de la Depp. Celui-ci justifie le principe des questionnaires, raison d’être de la Depp, tout en comprenant les motivations de la fronde : «Le fait de demander si l’on parle ou pas français à la maison, par exemple, a une incidence sur la façon dont les enfants reçoivent les études. Mais je comprends que cela puisse choquer les parents dans, entre guillemets, l’ambiance actuelle. Et certaines questions étaient mal formulées. Cela dit, personne ne m’a donné de solution alternative pour permettre de caractériser les situations des enfants et améliorer les méthodes d’enseignements.» Sur la discrétion avec laquelle ont été introduits ces tests, Daniel Vitry s’insurge : «Les chefs d’établissement ont été dûment prévenus, longtemps à l’avance. Que certains aient mangé la commission, c’est possible, mais nous n’avons rien caché.»

Pour ce qui est des sanctions financières prévues pour les parents de collégiens qui ne retourneraient pas le questionnaire, l’affaire semble entendue : «Nous n’engagerons pas de procédure contre une famille qui n’aurait pas répondu.» Quant à la confidentialité des données, mêmes certitudes : *«Jamais la Depp n’a été prise en défaut de confidentialité. L’anonymat des questionnaires est totalement respecté. Et il n’y a bien entendu aucun croisement des résultats avec d’autres administrations.»

  • «On nous a donné des garanties quant à la sécurisation des données, admet Françoise Dumont, secrétaire générale adjointe de la LDH. Il n’en reste pas moins que, dans le climat actuel, toute initiative de ce genre, surtout quand elle est mal expliquée aux parents, éveille un certain nombre de soupçons. Ce n’est pas de la paranoïa mais un principe de précaution.» Monique Deaune, responsable du secteur collège au Snes, est sortie de l’entrevue plutôt rassurée : «D’abord, il ne faut pas confondre ces enquêtes, qui ont reçu le label d’intérêt général du Conseil national de l’information statistique et sont couvertes par le secret statistique, avec les fichiers type Base élèves (voir Politis n°~1001). Aucune information ne risque donc d’être divulguée en dehors de la Depp.» Celle-ci a par ailleurs confirmé aux trois organisations que «personne n’aura jamais accès aux données nominatives» . Ni les écoles, ni les collèges, ni les enseignants, ni aucune autre administration.

Sur le questionnaire CM2, Monique Deaune s’est entendu répondre qu’il s’agissait d’une «expérimentation pour une future enquête, une phase de test préalable normale» . Quant aux tests destinés aux 6e, les parties présentes ont pu les consulter sur place, sans pouvoir en faire copie : «Nous avons été surpris par plusieurs questions sur les ressources du foyer» , relate la responsable du Snes. Une réponse à la problématique statistiquement mal connue des enfants pauvres, justifie la Depp. «Sinon, c’est quasiment le même questionnaire qu’une enquête déjà réalisée il y a dix ans.» Ou comment des contenus et démarches assez semblables peuvent être perçus différemment selon le contexte social et politique. Et comme l’époque est à la suspicion…

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