Xénophobie d’État

La France promeut un pacte européen visant à instaurer un statut de migrant modèle. Pour les autres, ce sera l’enfermement ou le bannissement.

Ingrid Merckx  • 26 juin 2008 abonné·es

25,1~millions de réfugiés dans le monde, selon un rapport de l’ONU paru le 17~juin. Un record sans précédent atteint en 2007 du fait de l’effet cumulé des guerres (Irak, Soudan…) et des crises climatiques et alimentaires. D’après le haut-commissaire pour les réfugiés de l’ONU, Antonio Guterres, un «mélange complexe de défis mondiaux» pourrait «engendrer un risque accru de déplacements forcés à l’avenir». En réponse à cette tendance planétaire, l’Europe, France en tête, propose de… renforcer ses frontières.
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«L’Europe n’a pas les moyens d’accueillir dignement tous ceux qui voient en elle un eldorado»* , a décrété le ministre de l’Immigration français, Brice Hortefeux, le 29~mai à Bruxelles, où il présentait son projet de «pacte européen» sur l’immigration. Présenté comme une des priorités de la présidence française de l’Union, ce pacte propose cinq engagements pour «mieux protéger l’Europe» : contrôler les frontières extérieures (via une «vraie police» et des visas biométriques) ; organiser l’immigration légale en fonction des capacités d’accueil (interdiction des régularisations massives et création d’un contrat d’intégration obligatoire) ; assurer l’éloignement des immigrés en situation irrégulière ; bâtir une «Europe de l’asile» (avec des «garanties communes», «un statut de réfugié uniforme» , et une carte bleue européenne pour «les immigrés hautement qualifiés» ) ; et promouvoir développement et aide au développement. L’ensemble doit être validé en conseil informel des ministres de l’Immigration à Cannes, le 7~juillet.

Ce pacte s’inscrit dans un contexte de méfiance croissante à l’égard des étrangers dans l’Union. Témoin : l’adoption, le 18~juin, au Parlement, par 367~voix contre 206 et 109~abstentions, de la «directive retour» visant à harmoniser les conditions de détention et de reconduite des migrants irréguliers. Enfermement jusqu’à dix-huit mois avant l’expulsion, détention de personnes vulnérables, interdiction du territoire pendant cinq ans pour les expulsés, renvoi vers le pays de transit… En dépit des protestations répétées des organisations des droits de l’homme et des associations travaillant auprès des migrants, ladite «directive de la honte» a été avalisée.
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«L’Europe ne doit pas céder à l’élan xénophobe qui la menace,* a réagi le collectif Uni-e-s contre une immigration jetable. Ce projet préfigure l’installation en Europe d’un modèle permettant l’enfermement généralisé des étrangers sans papiers et des demandeurs d’asile dans des camps.» Brice Hortefeux a assuré le 18~juin que ce vote ne changerait «en rien» la politique en France, où la durée maximale de rétention est de trente-deux jours et l’expulsion des mineurs isolés interdite. Mais, le même jour, il s’est félicité de l’augmentation de 80~% des expulsions d’étrangers de France, de la baisse du nombre de clandestins de 8~%, et d’une hausse de l’immigration de travail de 36~% en un an.

Le contexte en France est de plus en plus défavorable aux migrants. Sur les 1~400~demandes de régularisation des travailleurs sans papiers en grève depuis le 15~avril, seuls 400 auraient obtenu leur régularisation. Du côté du droit d’asile, la conjoncture n’est pas meilleure : le 19~juin, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, dont Acat-France, Amnesty international France et le Secours catholique, ont interpellé le gouvernement : «Encore instrument d’insertion, le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile risque de devenir […] un dispositif de surveillance et de quarantaine.» Trois propositions de loi pour un recours suspensif à toutes les demandes d’asile doivent être déposées.

Le 20~juin, pour la Journée mondiale des réfugiés, Forum réfugiés détaillait «25~propositions pour une reconnaissance européenne du droit d’asile » afin d’inverser la tendance en Europe en renouant avec un «impératif de la protection (1)». Quand 90~% des demandeurs d’asile franchissent la frontière européenne «de manière irrégulière, souvent au péril de leur vie» , l’Europe «se doit d’être solidaire» et de «créer des voies d’entrée légales pour les personnes fuyant la persécution», estime l’association. Quant à la France, qui a délivré 8~000~cartes de réfugiés au titre de la Convention de Genève (soit à près d’un demandeur d’asile sur trois) en 2008, elle se doit d’ «encourager une harmonisation par le haut des politiques d’asile en Europe» . Mais elle n’en prend pas le chemin.

(1) Pour en savoir plus : www.pour-politis.org

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