« Ils sont les piliers de l’agriculture »

Chaque année, les Bouches-du-Rhône accueillent 4 000 ouvriers agricoles saisonniers étrangers. Leurs conditions de travail sont inacceptables, estime Louis Breton, du Codetras*.

Jean-Baptiste Quiot  • 10 juillet 2008 abonné·es

Pourquoi a-t-on recours aux travailleurs saisonniers étrangers dans l’agriculture ?

Louis Breton : C’est grâce à eux qu’il existe encore dans ce département une agriculture compétitive dans le secteur des fruits et des légumes, mais les conditions dans lesquelles ils travaillent sont scandaleuses. Ces travailleurs immigrés sont les piliers de la culture intensive. Sous l’effet du libre-échange, certains produits sont aujourd’hui disponibles toute l’année. Ils proviennent d’Italie, du sud de l’Espagne et du Maroc, car, dans ces pays, le coût de la main-d’œuvre est moins élevé qu’en France. Et comme quelques grandes centrales d’achat regroupent les seuls clients capables d’acquérir la quasi-totalité de la production, la seule façon de rivaliser, pour les exploitants locaux, est d’avoir accès à une main-d’œuvre capable de travailler du matin au soir par 50° C dans les serres, avec un revenu en dessous du Smic et des heures supplémentaires non payées. Quand on regarde les photos annuelles des travailleurs qui viennent depuis plus de trente ans, ça fait un choc. On voit les gens s’user physiquement d’année en année et se ratatiner petit à petit.

D’où provient cette main-d’œuvre ?

Il n’y a que les habitants des pays pauvres, et notamment du Maghreb, qui puissent accepter de travailler dans ces conditions. Ils sont en quelque sorte des esclaves volontaires. Leurs revenus français leur ­confèrent un pouvoir d’achat important dans leur pays. Par exemple, 800 euros au Maroc correspondent à un pouvoir d’achat de 2 400 euros, c’est-à-dire celui d’un ingénieur. Pour ces travailleurs, il y a un intérêt à subir ces conditions dignes de l’esclavage.

Quel est leur statut ?

Le statut de saisonnier stipule qu’un étranger peut venir travailler en France pour une durée maximale de six mois. Une fois cette période achevée, il doit quitter le territoire. Qu’un travailleur vienne vingt ans d’affilée en France ne change rien en ­termes de droits : il doit à chaque fois repartir de zéro. De plus, il est attaché au même employeur, ce qui le rend encore plus corvéable. Chaque année, c’est l’employeur qui doit en effet redemander à l’administration l’autorisation de faire venir le salarié. Cela permet un contrôle de la part de l’employeur, qui ne renouvelle pas sa confiance à ceux qui se révoltent un peu ou tombent malades.

Cette situation est-elle légale ?

Jusqu’à l’an passé, la législation permettait à titre « exceptionnel » et par dérogation d’allonger la période de travail de six à huit mois. Légalement, cette situation devrait donc être rare. Mais, depuis vingt ans dans les Bouches-du-Rhône, on compte 4 000 saisonniers étrangers, dont 1 200 ont reçu l’aval de la préfecture pour prolonger leur période de travail à huit mois. Or, dans l’agriculture, il y a de toute façon une période d’inactivité. En restant huit mois, ces travailleurs sont comme des travailleurs permanents, mais sans en avoir le statut : pas d’assurance chômage ni de droit de revendication. Ils font tout le boulot, mais on continue scandaleusement à les traiter comme des saisonniers. Quand on parle de saison, on pense aux vendanges, à des périodes de trois mois. Ici, c’est huit. Le terme de saisonnier renvoie donc uniquement à un sous-statut.

Comment expliquer ces abus ?

Ce sous-statut existe grâce au puissant lobbying de la FDSEA. Les préfets de France ont peur des agriculteurs. Il n’y a pas d’autres explications au fait que la préfecture des Bouches-du-Rhône ait contourné la loi pendant trente ans. Au Codetras, nous proposons à ces ouvriers de jouer cartes sur table en disant : « Je viens depuis vingt ans pour travailler huit mois. Je respecte donc la législation et demande le renouvellement de mon autorisation de travail comme travailleur permanent, ou qu’on m’accorde un titre de séjour de salarié au regard de ma situation exceptionnelle. » Depuis l’été dernier, 250 lettres ont été envoyées au préfet. Aucun salarié n’a reçu de réponse, aucun n’a pu déposer un dossier en sous-préfecture. L’absence de réponse étant un refus implicite, les ouvriers ont exercé un recours devant le tribunal administratif. Pour une trentaine de cas, les premiers, le tribunal a ordonné la suspension de ce refus, la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour et de travail, ainsi que le versement de 1 000 euros par dossier. La préfecture a alors fait savoir au juge qu’à l’avenir elle fournirait une autorisation provisoire de séjour aux travailleurs immigrés qui contestaient son refus. Mais ceux qui se trouvent au Maroc ne peuvent obtenir de visa pour revenir prendre possession de ce document ! Et, bien sûr, la préfecture ne veut rien faire pour que ces travailleurs puissent revenir en France avec un statut de salarié comme les autres.

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