Ils veulent casser la baraque

Une lutte contre la « cabanisation » de l’habitat s’est engagée dans le Sud de la France, notamment sur le littoral. Au nom de l’environnement ou de la chasse aux marginaux ?

Marion Dumand  • 3 juillet 2008 abonné·es

« Ce village est un cloaque à ciel ouvert, une insulte à l’environnement… Dans le tiers monde, on appelle ça un bidonville. » En 2004, le préfet des Bouches-du-Rhône ouvre la guerre contre les cabanes de Beauduc, sur le littoral de la Camargue. Peu lui importe que, depuis 1967, l’association des Cabaniers du Sablon veille au respect de l’hygiène. Près de 200 CRS débarquent et détruisent une partie des habitations. La même année, la mission interministérielle d’aménagement du littoral publie le rapport Connaissance et identification de la cabanisation sur le littoral du Languedoc-Roussillon. Elle y incite les communes à « traiter le phénomène », par la prévention, la légalisation ou la destruction. En 2006, les services de l’État et les maires de Pyrénées-Orientales invitent, dans une « charte de bonne conduite » , les différents partenaires à collaborer dans un but clair : l’éradication.

Illustration - Ils veulent casser la baraque


Les cabanes de Beauduc, en Camargue (ici en 2002), indisposent le préfet des Bouches-du-Rhône. COR/AFP

Maison sans permis de construire, camping habité à l’année, cahute agricole reconvertie, tente nomade qui ne nomadise pas assez… La « cabanisation », terme fourre-tout local, englobe tous les habitats et abris illégaux. Qu’ils contreviennent à la loi Littoral (qui interdit la privatisation), au plan local d’urbanisme (qui définit les zones constructibles, inondables, etc.) ou à la réglementation sur les habitations de loisir construites sur domaine public ou privé.
Le seul dénominateur commun de l’illégalité ne suffit pourtant pas toujours à pousser les élus locaux à l’action, entre impuissance et tolérance. Face au développement, par endroits, de véritables hameaux de cabanes, les services de l’État, des régions ou des départements brandissent de plus en plus en plus souvent le drapeau rouge environnemental, bien commode pour amalgamer de multiples problèmes : sociaux, écologiques, patrimoniaux, légaux, etc.

La cabanisation, « source de nuisances et de pollutions, une cause de dégradation paysagère et environnementale » ? L’eau est au cœur des récriminations, surtout sa pollution, due à un défaut d’assainissement. La région Languedoc-Roussillon offre un cas exemplaire : attractivité de la frange littorale, parc locatif social plus réduit que dans la moyenne nationale (10 % contre 17 %), taux de travailleurs saisonniers et de RMIstes plus important… Sur les 5 000 cabanes répertoriées en 2004, 5 % seulement étaient reliées aux réseaux d’assainissement. Mais plus de 60 % des occupants payaient des impôts locaux, et un bon nombre possédait une fosse septique, notamment les 30 % d’habitants permanents. « En quatre ans, le nombre des cabanes a au moins doublé, estime Dominique Crozat, chercheur au CNRS. Et l’occupation permanente avoisine plutôt les 50 %. » Pour Béatrice Mésini, chargée de recherche au CNRS, « le problème naît de la forte concentration, notamment en été, comme à Beauduc ». Un problème qu’il faut relativiser, s’agace Laurence Thomas, anthropologue [^2] : « Le caca des Beauducois est sans commune mesure avec la pollution déversée dans le golfe de Beauduc par le Rhône ! »

Derrière l’hypocrisie, « le discours environnemental masque l’aspect social de l’affaire : la pauvreté », révèle Dominique Crozat. La Fondation Abbé-Pierre l’observe avec inquiétude : « Casotes, cabanes, camping… sont autant de formes de logement de fortune trop souvent oubliées par les statistiques. » Et généralement subies, même avec des nuances : « Quitte à être précaire, je préfère la campagne que la périphérie de Perpignan » , témoigne une habitante. L’association des Habitants de logements éphémères ou mobiles (Halem), née d’une expulsion de camping, parle d’habitat « choisi a minima ».
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À laisser faire en marge des lois, certains élus font le jeu d’un arbitraire qui les arrange parfois. Il peut même servir à chasser plus « convenablement » la pauvreté, là où l’application stricte de la loi passerait mal. *« Derrière le projet de requalification de la plage du Libron à Vias [Hérault], menacée par l’érosion, on trouve aussi une volonté d’éradiquer les cabanes proches,
analyse Dominique Crozat, Avec une double intention : améliorer l’image touristique du territoire municipal et orienter la composition sociale des nouveaux arrivants. » Les « pauvres » sont donc priés de ne pas faire tache dans le paysage.
Les plus fragiles font donc souvent les frais de la lutte anticabanisation. Affaire de préjugés mais aussi de loi : un élu peut parfois légaliser a posteriori une habitation en dur mais ne dispose d’aucun outil équivalent en ce qui concerne les habitats éphémères ou mobiles, qu’il s’agisse d’un mobile home dans un camping (donc muni d’installations sanitaires aux normes) ou d’une construction écologique, avec toilettes sèches, phytoépuration et énergie renouvelable. Cette absence de cadres laisse les maires de bonne volonté en porte-à-faux. Pour y remédier, une députée socialiste a posé, en 2006, une question écrite au ministre de l’Équipement : le caractère expérimental, prévu dans le code de la construction, ne permettrait-il pas de légaliser l’implantation d’une yourte ? Réponse du ministre : il y a trop de tentes mongoles en France pour qu’elles relèvent encore de l’expérimentation. Bref, c’est bon pour les touristes, mais pas pour y habiter à l’année…

« Avec ce droit extrêmement restrictif, on marche à l’envers des intentions du Grenelle de l’environnement, qui a fait de l’habitat à faible impact écologique un de ses fers de lance » , constate Béatrice Mésini. Des propositions constructives existent pourtant. « La fédération Permis de vivre
[^3], Droit paysan, etc. organisent les Journées de l’habitat choisi du 1er au 4 août à Saint-Jean-du-Gard (Cévennes) fait valoir le droit de tous à bénéficier de la circulaire 2003 sur les terrains familiaux. Celle-ci autorise les gens du voyage à s’installer sur des terres agricoles, avec une viabilisation partielle – constructions en dur, etc. Étendue et repensée sous l’angle de l’habitat écologique, elle pourrait permettre de pérenniser des logements viables et décents. »
Et de développer des formes d’autonomie vivrière, respectueuses de l’environnement.
« Il faudrait définir, dans les communes, des zones “écoconstructibles” réservées à ce type d’habitat à faible impact écologique » , estime Marcel, membre fondateur du Mouvement autogéré des chercheurs-euses d’habitats autonomes, novateurs et écologiques (Ma Cabane). Des habitats « choisis a maxima » , et pour lesquels ils demandent une reconnaissance. Ou, à défaut, une autorisation « d’expérimentation sur certains sites » . « Cette solution ouvrirait la porte à un cadre légal et permettrait aux habitants d’être reconnus dans leurs droits – domiciliation, allocations… » En échange de quoi, ils s’engagent à respecter l’environnement, à tendre vers l’autonomie en eau et en énergie. Et, pourquoi pas, à s’acquitter d’une taxe d’habitation calculée sur leur empreinte écologique. Une autre cabane est possible…

[^2]: Auteure de Beauduc, l’utopie des gratte-plage, ethnographie d’une communauté de cabaniers sur l’espace littoral camarguais, Images en manœuvre, 400 p., 35 euros, à paraître fin juillet.

[^3]: . Cette association et Halem , Ma Cabane , Atipik

Écologie
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