Le prévisible et l’imprévisible

Denis Sieffert  • 24 juillet 2008 abonné·es

Puisque nous avons placé ce numéro d’été de Politis sous le signe de l’avenir en nous gaussant de ceux qui font profession de le prévoir, on devrait se garder de jouer à notre tour les augures. Mais les bonnes résolutions ne suffisent pas à vaincre cette pathologie, même légère, qui nous pousse à prévoir, à prédire et à deviner. D’autant que nous aimerions bien savoir, à la veille de ces semaines de parenthèses estivales, de quoi sera faite l’actualité. Il y a en matière éditoriale, comme en épicerie, des denrées périssables et du surgelé. Combien de temps, par exemple, le débat constitutionnel tronqué qui a fait l’ordinaire de ces derniers jours fera-t-il la une de nos journaux ? Le temps sans doute qu’il faudra à Jack Lang pour rejoindre son île grecque, d’où il n’est revenu que pour sauver Nicolas Sarkozy d’une défaite probable, et pour effacer un peu du principe de séparation des pouvoirs cher à Montesquieu. Les socialistes, décidément, sont maudits ! Pour une fois qu’ils accomplissaient leur devoir d’opposants, c’est encore l’un d’entre eux qui s’est singularisé en apportant à la droite la voix qui lui manquait. Mais à y bien regarder, leur argumentaire n’est jamais allé dans le sens d’un projet alternatif. La question de l’élection du président de la République au suffrage universel n’a été qu’évoquée (par Robert Badinter, notamment), elle qui conditionne tout le reste, fausse notre démocratie, et dépolitise notre pays. Quant au droit de vote des étrangers et à la réforme du Sénat, ce sont des idées que les socialistes ne peuvent guère faire valoir aujourd’hui alors qu’ils les ont « oubliées » quand ils étaient au pouvoir.

Faute d’un vrai projet alternatif, le débat ne pouvait tourner qu’au marchandage et au débauchage. Il n’a passionné que dans son aspect « sportif » : le sprint final et la photo finish. On peut prévoir que, dans une quinzaine de jours, nos journaux auront abandonné Jack Lang, hypnotisés qu’ils seront par l’or des médailles olympiques. Au point d’en oublier tout le reste, même la Chine et les Chinois. Mais, dans l’art de la prévision, il y a le probable, et il y a le possible. Dans cette seconde catégorie, il nous faut hélas inclure l’hypothèse d’une opération militaire contre l’Iran. Cette stratégie de la tension, activée par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, peut-elle conduire ailleurs ? Lundi, c’était le Premier ministre britannique, Gordon Brown, qui devant la Knesset, le Parlement israélien, brandissait la menace de sanctions nouvelles. La veille, Condoleezza Rice, la Secrétaire d’État américaine, avait parlé de « mesures punitives ». Le fond de l’air est bouillant, et l’escalade des menaces est un jeu redoutable. Dans l’actualité, il y a aussi ce qui passe presque inaperçu – trop compliqué, trop technique ! C’est le cas avec ce sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s’est ouvert lundi à Genève, et qui, pourtant, détermine à bien des égards l’avenir du monde. Après sept ans de bégaiements, c’est la reprise du cycle de Doha. On connaît la raison d’être de l’OMC : tout libéraliser et tout réduire à l’état de marchandise.

Depuis Doha, en 2001, l’agriculture résiste. Lundi, en ouverture de la réunion de Genève, le commissaire européen, Peter Mandelson, a forcé la main à ses mandants – et en premier lieu à Nicolas Sarkozy – en proposant d’abaisser de 60 % la moyenne des droits de douanes agricoles de l’Union européenne. On objectera que ce geste spectaculaire laisse encore une marge appréciable pour une aide à l’agriculture européenne. Mais la question n’est pas là. Des subventions peuvent se justifier, d’autres non. C’est en fait toute la problématique de l’OMC qui est aberrante. Parce que son objectif n’est pas en soi de satisfaire les besoins de la planète en nourriture de qualité. Il est idéologique. Il s’agit coûte que coûte de libéraliser le commerce international, et dans tous les domaines. La mondialisation libérale ne prend pas en compte la nécessité de protéger l’agriculture des pays pauvres. Le blé, le maïs et le riz deviennent des objets de spéculation comme les autres. Quitte à les rendre inaccessibles à ceux qui en vivent ! Va-t-on expliquer ce qui se trame vraiment à Genève ?

Et puis l’actualité est faite d’imprévisible. Lundi soir, c’était le retour d’un fantôme surgi d’un passé monstrueux, avec l’arrestation de Radovan Karadzic, l’un des bourreaux des musulmans de Srebrenica, en 1995. En ce mois d’août, on tremblera pour Marina Petrella, cette femme éperdue de désespoir au point de se laisser mourir. Bêtise et cruauté de nos gouvernants qui veulent la livrer aux geôles de Berlusconi dans le reniement de la parole de la France.
Enfin, il y a toute cette actualité aujourd’hui sans nom et sans visage dont nous vous parlerons… le 28 août, jour de reparution de Politis. En attendant, jouissons de ce privilège qui est de pouvoir vous et nous souhaiter de bonnes vacances.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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