Leur nouveau monde

Singulier duo voix et violoncelle, Bethany et Rufus reviennent aux Nuits atypiques de Langon pour chanter leur rêve d’une Amérique renouant avec ses anciens idéaux, qui ont attiré tant de migrants.

Denis Constant-Martin  • 17 juillet 2008 abonné·es

Longiligne, ondoyante, dansant sans cesse sur scène, Bethany Yarrow a dans sa gorge toutes les voix des États-Unis. Elle est folk, elle est blues, elle est indienne, elle est hispanique, et mêle dans les broderies mélodiques dont elle pare tout ce qu’elle chante des fils venus de chaque moment de l’histoire américaine. À ses côtés, Rufus Cappadocia déploie ce qu’il appelle sa « politique du violoncelle » : il entend démontrer que cet instrument, auquel il a ajouté une corde basse, n’est pas « condamné » à la musique classique mais conserve en son cœur le pouls des Méditerranée, des Afriques et des Amériques rurales. Leurs lignes ­s’entre­croisent, se fondent, se répondent pour ne former plus qu’un chant aux rythmes subtils, aux résonances universelles, qui dégage un charme irrésistible.

Bethany et Rufus se pensent comme des « messagers » dont les textes et les musiques vont toucher les cœurs autant, sinon plus, que les oreilles. « Quand vous commencez à chanter ces chansons, explique Bethany, elles vous répondent, et vous vous rendez compte de ce que vous êtes en train de faire : au lieu de sembler confinées dans le passé, elles s’insinuent dans le présent, elles tracent un chemin, et vous n’avez plus qu’à le suivre. Ce ne sont pas des protest songs comme celles des années 1960, nous ne chantons pas des slogans. Et, pourtant, ce sont des chansons de protestation, d’une protestation de l’esprit ; il nous faut habiter ce qu’elles charrient, alors elles nous portent ; mais, pour cela, nous devons être honnêtes avec elles, être fidèles à notre histoire. »
Cette histoire est une histoire de rencontres, de mélanges, une histoire sombre et brutale qui a produit d’infinies beautés Pour Rufus, faire comprendre que le monde est dans les États-Unis et que les États-Unis appartiennent au monde, en dehors de tout rapport de domination, est une des dimensions capitales de la musique qu’il crée avec Bethany : « Je joue de la folk music de Bulgarie, de Grèce, d’Haïti, du Mali, des États-Unis, parce que c’est la folk music de New York… et que ces musiques ont quelque chose en commun. Faire entendre cela, c’est établir une communication sur les plans historique, musical, interculturel, qui est profondément politique. »
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L’idée que la chanson est une arme dans les combats pour la dignité et la justice a bercé Bethany dès sa naissance : son père, Peter Yarrow (du groupe Peter, Paul and Mary), se considère comme un militant qui utilise la musique pour toucher, pour – confie Bethany – transformer « le préjugé en désir d’égalité ». Elle n’a pas d’emblée voulu suivre sa trace et a d’abord réalisé un film (sur des femmes d’Afrique du Sud). Un jour, ses chansons se sont réveillées en elle ; elle en a retravaillé électroniquement quelques-unes puis a décidé, avec Rufus, d’épurer les sons pour trouver une modernité plus simple, qui rende plus accessible leur « âme » de vie et de liberté. *« En tant qu’Américaine,
affirme Bethany, je considère qu’il est important de ramener l’Amérique dans le monde, pas pour dire “nous sommes désolés”, même s’il y a de quoi l’être, mais pour dire “nous sommes avec vous, en musique et en esprit”, pour porter un rêve de l’Amérique qui a attiré les immigrants, qui a inspiré des gens à travers le monde. Quels qu’aient été les échecs des États-Unis, les dégâts causés durant ces huit dernières années, où ce rêve a été assassiné, il faut maintenir vivant ce qu’il recèle de magnifique. De l’obscurité américaine est née une célébration de l’existence, et, dans les temps sombres que nous vivons, la musique préserve cette lumière de vie. »

Rufus Cappadocia partage pleinement cet idéal, auquel il est parvenu par d’autres voies : un apprentissage musical avec la méthode Suzuki, qui fait découvrir la musique d’oreille, en jouant des mélodies populaires ; puis l’enseignement d’un maître tchèque du violoncelle, Zednick Konicek. Virtuose, il avait cependant le sentiment qu’être premier violoncelle dans un orchestre symphonique n’était pas suffisant. Il a pris la route, écouté des musiques de partout et compris les ponts que les musiques construisent entre les hommes parce qu’elles font entendre les héritages qu’ils partagent. Sa rencontre avec Bethany lui a permis de travailler compositions originales et chansons folk dans cet esprit. Alors, quand il s’agit de l’élection présidentielle américaine, c’est à l’unisson qu’ils affirment leur soutien à Barack Obama : « Il a vécu dans d’autres pays, dit Bethany, il est comme notre musique : du monde, et il veut ramener ­l’Amérique dans le monde. » Rufus ajoute : « Je ne sais pas s’il sera beaucoup mieux, mais il représente la seule chance que quelque chose de mieux puisse être fait… »

Culture
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