Privés de vacances

Le gouvernement se désengage progressivement de l’aide au tourisme social, au risque de creuser encore plus les inégalités dans l’accès aux congés d’été, particulièrement pour les mineurs.

Jean-Baptiste Quiot  • 17 juillet 2008 abonné·es

Fini, les jolies colonies de vacances ? Les baromètres des voyagistes se succèdent et se ressemblent : l’un d’entre eux indique que, pour la cinquième année consécutive, le départ estival des Français est en baisse. Une diminution générale qui ne doit pas masquer la persistance des inégalités dans l’accès aux vacances. Mais cette situation n’est pas seulement liée au contexte économique actuel défavorable, elle est aussi la conséquence de choix gouvernementaux combinant baisse des aides et mépris du tourisme social. « En termes de politique sociale de tourisme, on assiste à un désengagement total de l’État » , affirme Jean-Claude Tufferi, qui représente les salariés au nom de la CGT au conseil d’administration de l’Agence nationale pour les chèques va­cances (ANCV).
Si l’on s’en tient aux rares données disponibles, notamment une enquête de l’Insee publiée en 2004 (voir encadré), plus de 21 millions de Français ne partent jamais en vacances. 37 % d’entre eux invoquent le manque de moyens financiers. « De plus en plus de monde vient nous demander des aides, explique Seynabou Dia, du secrétariat national du Secours populaire français. Mais, depuis deux ans, nous avons un nouveau public. En plus des pauvres, ce sont les travailleurs précaires qui nous sollicitent aujourd’hui pour le départ en vacances de leurs enfants. Notamment beaucoup de femmes qui les élèvent seules. »

Illustration - Privés de vacances


Une partie de foot à Montreuil (93), faute de pouvoir partir en vacances.
GUILLOT/AFP

Les jeunes et les enfants sont en effet les premiers concernés. « Sur 12 millions de mineurs, 3 millions ne partent pratiquement jamais en vacances, et 2 millions, jamais, s’insurge Jacques Henrard, secrétaire générale de la Jeunesse au plein air, qui regroupe une quinzaine d’associations d’éducation populaire. La nouveauté, c’est aussi la précarisation des ­classes moyennes basses, qui ne partent plus en va­cances et n’ont droit à aucune aide. » « Différentes études ont montré que la baisse de fréquentation des “colonies de vacances” coïncide avec la baisse des aides des allocations fami­liales », rapporte Gérard Duval, président de ­l’Union nationale des associations de tourisme (Unat). Selon l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes, « seuls 9 % des enfants en séjour familial dans un village associatif reçoivent une aide d’une CAF [caisse d’allocations familiales] et 3 % d’un comité d’entreprise ».
Entre 2001 et 2005, le budget des CAF consacré à l’aide aux départs a baissé de 20 %. « La politique actuelle consiste à s’occuper uniquement de la petite enfance et à favoriser les seuls loisirs de proximité », explique Jacques Henrard. Prises dans leur ensemble, ­qu’elles émanent des CAF, des comités d’entreprise ou des collectivités territoriales, les aides aux vacances ont diminué de moitié en vingt ans, toujours selon l’Observatoire. « Sans les Régions et les partenaires solides qui se sont installés depuis quelques années, notre secteur serait encore en plus grande difficulté, mais nous sommes conscients que dans ce domaine, comme dans bien d’autres, l’État transfère les charges sans les moyens », déclare Gérard Duval.

Ce désengagement de l’État laisse transparaître une volonté du gouvernement : en finir avec le tourisme social. Lancé en janvier par Christine Lagarde, ministre de l’Économie, et Luc Chatel, secrétaire ­d’État chargé de l’Industrie et de la Consommation, le projet baptisé « Destination France 2020 » ne laisse pas de ­doutes sur les intentions. Le rapport ­d’étape que Politis s’est procuré indique clairement que « la politique sociale du tourisme, née de l’après-guerre […], n’offre plus un modèle social et économique valide et doit se réformer ». Quelle réforme envisage-t-on ? « Le rapport vise à renforcer le tourisme de luxe pour attirer d’avantage de touristes étrangers, explique Bernard Noulin, du secteur économie sociale de FO. Il ne prend jamais en compte la dimension sociale du tourisme et dit implicitement qu’il faut abandonner le secteur social parce que ce dernier n’est pas rentable. »

Comment le gouvernement compte-t-il s’y prendre ? Grâce à la « privatisation rampante » de l’ANCV, selon Bernard Noulin. Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), l’ANCV est chargée de développer depuis 1982, grâce au chèque-vacances, l’accès aux vacances et aux loisirs pour tous. Aujourd’hui, près de 3 millions de salarié(e)s en profitent avec leur famille. « Ce sont les salariés qui s’abondent eux-mêmes, mais il y a une mutualisation des moyens » , explique Bernard Noulin. De plus, « les bénéfices que tire l’agence de ses placements financiers et des invendus sont redistribués au tourisme social, ajoute Jean-Claude Tufferi. L ’État reporte ainsi sa responsabilité sur l’agence. Cette année, le budget de l’État pour le tourisme social, c’est zéro pour l’aide à la pierre et 0,7 million pour l’aide à la personne. L’ANCV, elle, a donné 8 millions d’euros. »

Si l’agence génère de telles sommes, c’est parce qu’elle possède le monopole des chèques-vacances. Or, le rapport propose une « ouverture de la commercialisation des chèques-vacances à d’autres opérateurs que l’ANCV, disposant d’un réseau commercial adapté aux PME ». Cet abandon de monopole « validerait la privatisation de l’ANCV, qui ne serait plus capable de rivaliser avec des ­groupes comme Accor ou Sodexo, qui, eux, n’attendent que ça » , explique Jean-Claude Tufferi. L’État n’a pourtant aucun intérêt à ouvrir le monopole. « D’une part, il ne met pas un sou dans le tourisme social. Il récupère en plus de l’argent grâce à l’impôt sur les sociétés que paye l’agence, poursuit Jean-Claude Tufferi. Enfin, il se sert dans des fonds de concours, ce qui lui a permis de récupérer 10 millions d’euros sur la caisse de l’ANCV. » Et dans cette bataille qualifiée de « purement idéologique » par le syndicaliste, les multinationales comptent tirer de gros profits. Peu importe le droit aux vacances pour tous.

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