« Une quête de l’immortalité et de la toute-puissance »

Pourquoi voulons-nous connaître notre avenir ? Le psychiatre et psychanalyste Gérard Bayle[^2] propose ici plusieurs pistes de réflexion.

[^2]: Ancien président de la Société parisienne de psychanalyse.

Denis Sieffert  • 24 juillet 2008 abonné·es

Quel ressort psychologique explique notre quête de connaissance de l’avenir ?

Gérard Bayle : Cela a évidemment à voir avec l’immortalité. Ou, plus exactement, la non-mortalité. Si je veux connaître mon avenir, c’est déjà que je considère que j’en ai un. Cette quête vient très tôt chez l’enfant. Vers 5 ans. C’est-à-dire à partir du moment où l’on commence à avoir une connaissance intellectuelle de la mort. Mais c’est aussi l’idée que des gens ont certains pouvoirs, et notamment celui de prédire l’avenir. C’est donc aussi une quête de toute-puissance. Celle-ci se retrouve évidemment dans la religion : pour l’avenir, on s’en remet au prêtre. Cela peut aussi conduire à des dérives sectaires, comme avec les raëliens [^2]. Et à de véritables psychoses collectives. J’évoquerais encore des délires pseudo-scientifiques comme « la mémoire de l’eau [^3] ».

Nous sommes tous un peu superstitieux, souvent sur le ton de la plaisanterie, mais ce besoin de maîtriser l’avenir et de « vaincre » la mort peut-il conduire à des pathologies graves ?

Oui, nous sommes superstitieux parce que ne pas l’être porte malheur… Mais, plus sérieusement, il existe en effet autour de cette question des pathologies délirantes. C’est le cas notamment d’un syndrome mélancolique que l’on appelle le « syndrome de Cotard ». Les malades qui en sont atteints vont jusqu’à nier l’existence de leurs organes et se croient condamnés à rester éternellement dans un état de pourrissement. Ce qui est évidemment une autre façon de se croire immortels.

Enfin, il faut dire un mot aussi d’une forme de superstition dans laquelle le fait d’accomplir tel ou tel acte risque de faire souffrir un mort que l’on a connu. C’est encore une façon de penser de façon obsessionnelle que le mort n’est pas vraiment mort, et de vaincre la mortalité.

Propos recueillis par Denis Sieffert.

[^2]: Les raëliens croient notamment à l’immortalité par le clonage, qui permettrait d’opérer un transfert de conscience.

[^3]: Controverse née en 1988 à partir d’un article de Jacques Benveniste. Selon ce scientifique, l’eau, mise au contact d’une substance, conserve les propriétés de cette substance après que celle-ci a été retirée. Aucune expérience n’a confirmé cette thèse depuis lors.

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