Ce que l’on peut faire…

La loi de bioéthique soulève de nombreuses questions touchant au respect du corps humain, à la dignité des personnes, à la protection des libertés individuelles.
Voici un aperçu des dossiers scientifiques relevant de son champ d’application.

Ingrid Merckx  • 28 août 2008 abonné·es

«La loi reste récente, les décrets d’application ont pu prendre du retard, le recul est faible pour mesurer l’impact, ne serait-ce que scientifique, des dispositions prises », prévient l’Agence de la biomédecine dans une « contribution aux débats préparatoires à la révision de la loi de bioéthique », datée du 20 juin 2008. « Les principes et problèmes posés par la révision pourraient concerner dans la réalité un champ plus large que la loi à réviser », ajoute l’agence, qui cite : la recherche sur l’homme, la définition du début et de la fin de la vie humaine, et celle du statut de l’embryon et du fœtus, les critères de répartition des ressources rares, le lien entre matériau biologique et informations collectées ou stockées à cette occasion (banques biologiques), et de nouvelles perspectives comme les neurosciences et les nanotechnologies. Elle rappelle aussi que « la loi de bioéthique vise à favoriser le progrès médical et scientifique tout en garantissant le respect de grands principes éthiques ». Et que le texte s’appuie sur les principes suivants : l’indisponibilité du corps humain, l’interdiction de l’utilisation des connaissances scientifiques à des fins eugéniques, le primat du consentement des personnes, la sauvegarde de la dignité et de la protection de la personne, le respect de sa liberté individuelle et de son autonomie, la protection de la famille et de l’enfant, la protection de la santé de la personne.
Voici un aperçu, forcément non exhaustif, des différentes questions que soulève, aujourd’hui, la loi de bioéthique.

Recherche sur l’embryon

La recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires est interdite. Mais, à titre dérogatoire et pour cinq ans, la loi du 6 août 2004 permet la réalisation de recherches à finalité thérapeutique dans des conditions contrôlées par l’Agence de la biomédecine. Les chercheurs autorisés peuvent travailler à partir d’embryons surnuméraires conçus dans le cadre d’une fécondation in vitro que les parents choisissent de céder à la recherche. Au terme de ces cinq ans d’expériences, l’Agence et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques doivent établir un bilan des recherches. C’est ce bilan que tout le monde attend aujourd’hui, afin de savoir si la législation va rester sur un régime de dérogation pour cinq ans ou passer à un régime d’autorisation. Reste notamment à redéfinir ce que signifie « avancées thérapeutiques majeures » dans le cadre d’une autorisation. Par ailleurs, la loi interdit la production d’embryons à des fins de recherche, mais quelle différence entre ceux-ci et des embryons surnuméraires ? Qu’en est-il des retombées financières de la recherche sur les embryons « donnés » ? La création d’embryons pour la recherche n’est-elle pas un pas de plus vers la réification de l’embryon ? (Voir les travaux de Jacques Testart, biologiste et président de la fondation Sciences citoyennes, notamment son article « Tests ADN, du fichage au dépistage », Monde diplomatique, juin 2008).

Cellules souches embryonnaires

Les cellules souches embryonnaires sont prélevées sur l’embryon humain au tout début de son développement. Leur capacité à engendrer tout type de cellules humaines est porteuse d’espoirs biologiques et médicaux. Pour le CCNE, se pose surtout le problème de leur commercialisation (avis 93). Le principe de base étant celui de non-patrimonialité du corps humain et de non-commercialisation d’un produit du corps humain. Le CCNE a conscience que cette position fait obstacle à la poursuite de certaines recherches.

Clonage non reproductif

Cette question renvoie à celle sur le statut de l’embryon. « L’espoir mis dans les cellules souches issues d’embryons clonés, au regard du potentiel des cellules souches issues d’embryons surnuméraires, s’avère-t-il déterminant ? » , se demande l’Agence de la biomédecine. « Est-il scientifiquement pertinent de vouloir poursuivre une recherche sur des cellules souches issues d’embryons clonés au moment où s’ouvre une voie alternative, dans le même champ scientifique de recherche, avec la reprogrammation de cellules souches adultes ? » Ou faut-il au contraire favoriser toutes les voies de recherche possible ? Que faire, en France, de traitements obtenus par clonage non reproductif à l’étranger ? En outre, les recherches sur ces cellules ne pourraient se faire qu’avec beaucoup d’ovocytes disponibles, or, l’ovocyte est rare. Faut-il favoriser la mise en place d’un grand marché d’ovocytes qui entraînerait une marchandisation du corps de la femme ? Enfin, quelle limite entre clonage non reproductif et clonage reproductif ? « L’humanité est-elle prête à entrer dans l’ère d’une médecine régénérative ? Est-il possible de concevoir une société humaine sans interdits, sans capacité d’autolimites ? »

Assistance à la procréation : diagnostic prénatal
et préimplantatoire

Le diagnostic prénatal permet de détecter des anomalies chez le fœtus, auquel cas la mère peut demander une interruption médicale de grossesse. Le diagnostic préimplantatoire (DPI) désigne l’analyse réalisée en cas de risque de maladie génétique grave sur des embryons issus d’une fécondation in vitro, afin d’implanter les embryons non atteints. Le débat porte sur le choix des maladies et donc des couples pouvant bénéficier du DPI. Faut-il déterminer un âge limite chez la femme et chez l’homme pour la pratique de l’assistance médicale à la procréation (AMP) ? Faut-il prendre en charge des infertilités « médicalement non pathologiques » ? Faut-il limiter l’AMP aux seuls établissements publics ou privés à but non lucratif ? Faut-il autoriser l’accès à l’AMP aux femmes seules ? Faut-il permettre l’accès à l’AMP à des couples homosexuels féminins ? Quel est l’avenir d’embryons sains et non transférés « in utero » ? La visée thérapeutique est-elle la seule visée possible d’une recherche fondamentale ?

Gestation pour autrui

Le CCNE prépare un nouvel avis sur les mères porteuses, notamment parce que la pratique existe dans d’autres pays (Californie, Royaume-Uni, Belgique). « Toute poursuite pénale visant des ressortissants français ayant eu recours dans un autre pays à une maternité de substitution est impossible et introduit donc déjà, de fait, ce mode de procréation comme étant possible. » Mais la procédure civile de reconnaissance de filiation ou d’adoption par la femme du couple du bénéficiaire est bloquée. Cette incertitude concernant la filiation des enfants issus d’une telle maternité pose problème. Va-t-on vers un principe d’exception ? (Voir Politis du 10 juillet 2008).

Information génétique

Quand une anomalie génétique est diagnostiquée, le médecin en informe le patient. Quel droit doit-il primer ? Celui d’être informé ou celui de ne pas l’être ? La personne concernée peut-elle cacher l’information à sa famille ? Sur cette question le décret n’est pas encore paru.

Don d’organes et don d’ovocytes

Principe fondamental, rappelle le CCNE (avis n° 93) : « Les éléments ou produits du corps humain, détachés au terme d’une intervention médicale, sont l’objet d’un don gratuit et volontaire. Cela n’interdit pas que certains d’entre eux aient, une fois détachés du corps, un prix de cession, voire un statut de médicament (produits du sang). » D’où la question : peut-on assimiler un élément du corps humain à un produit ? Questions de l’Agence de biomédecine par rapport au don de gamètes : jusqu’où est-il acceptable de solliciter des donneuses ? Peut-on élargir la possibilité de don à l’ensemble de la famille génétique ? Peut-on permettre un don entre proches, sans lien génétique ? Comment promouvoir le don de gamètes ? Faut-il prévoir une reconnaissance de la société vis-à-vis de la personne qui donne ? L’augmentation du nombre de donneuses pose des problèmes de moyens : quel rôle doit jouer l’assurance-maladie ?

Nanosciences et nanotechnologies
Voir notre entretien.

Statut du corps après la mort

La loi du 6 août 2004 aborde le devenir des tissus embryonnaires ou fœtaux après une interruption de grossesse. Ils ne peuvent être prélevés, conservés et utilisés qu’après un consentement écrit de la femme. Deux décrets parus le 22 août autorisent l’inscription sur les registres d’un fœtus né sans vie, quel qu’ait été son stade de développement. Autre débat : autour du prélèvement d’organes suite à une « mort cardiaque ».

Société
Temps de lecture : 7 minutes