La rentrée sociale vue par Attac

L’association altermondialiste fête ses dix ans et vient de tenir son université d’été à Toulouse. Trois de ses responsables passent ici en revue les projets gouvernementaux dans un contexte de crise économique.

Thierry Brun  • 28 août 2008 abonné·es

Cette rentrée sociale s’annonce particulièrement chargée. Les grandes réformes sociales annoncées il y a un an par Nicolas Sarkozy seront mises en œuvre d’ici à la fin de l’année, et de nou­velles mesures et privatisations sont programmées. Quelle est votre analyse de la situation sociale ?

Jean-Marie Harribey (coprésident) : Effectivement, comme l’a dit le Medef, on assiste à la mise en cause de ce qui constitue le programme du Conseil national de la Résistance, à l’origine d’un grand nombre d’acquis sociaux. Il y a une sorte d’acharnement, d’empressement à modifier toutes les réglementations qui protégeaient la condition salariale. On a affaire à une stratégie qui est dans la continuité des projets néolibéraux, mais qui connaît une accélération parce que le gouvernement a mis les bouchées doubles. Est-ce parce que le contexte de crise globale que nous connaissons lui fait prendre conscience que, peut-être, le temps n’est pas pour lui ?
Les dernières mesures du gouvernement de François Fillon vont dans le même sens. Le gouvernement augmente le nombre d’heures supplémentaires ou de journées de travail dans la récente loi sur le dialogue social et le temps de travail qui entre en application dès cet automne. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre européen de révision de la directive européenne sur le temps de travail, adoptée en juin par les ministres européens de l’Emploi, qui vise à élargir la possibilité d’opting-out, c’est-à-dire de dérogation à la norme maximale de 48 heures pour aller jusqu’à 60 ou 65 heures avec « l’accord » du salarié.

Illustration - La rentrée sociale vue par Attac


Attac France a tenu sa neuvième université d’été à la faculté du Mirail, à Toulouse, du 22 au 26 août. PAVANI/AFP

La loi dite de modernisation du marché du travail introduit une modification progressive de toutes les réglementations encadrant ce marché. Elle donne aujourd’hui la possibilité au patronat d’approfondir cette logique de précarisation d’une frange de plus en plus importante du salariat. Cette transformation du marché du travail est dictée par la logique du système capitaliste néolibéral de prendre de la valeur pour les détenteurs du capital et de rendre de la valeur aux actionnaires. Corrélativement, il faut que la condition salariale soit amenuisée par plusieurs bouts. Les salaires perçus par les travailleurs sont maintenant déconnectés de l’évolution de la productivité, ce qui explique que la part totale de la masse salariale s’est réduite dans la valeur ajoutée. La condition salariale se trouve aussi amenuisée par la diminution progressive de la protection sociale, en particulier l’assurance-maladie et les retraites. Enfin, l’entrée en vigueur de « l’offre raisonnable d’emploi » pour les salariés au chômage va accroître la possibilité de radier et de diminuer les prestations reçues par les chômeurs.

Cette rentrée sociale débute dans un contexte particulier puisque la France préside l’Union européenne jusqu’à la fin de l’année. Qu’avez-vous envisagé dans le cadre de cette présidence ?

Aurélie Trouvé (coprésidente) : Nicolas Sarkozy nous explique qu’il veut une Europe plus sociale, mais il n’y a pas un mot sur celle-ci dans ses priorités. La présidence française de l’Union est à l’image de Nicolas Sarkozy : sécuritaire et néolibérale. Du coup, c’est à nous de placer l’Europe dans le débat politique en organisant des mobilisations tout au long des quatre mois de présidence restants. Un premier grand rassemblement unitaire aura lieu à Annecy au moment du Conseil européen des ministres de l’Agriculture, les 20 et 21 septembre, car la politique agricole est de plus en plus au centre des préoccupations d’organisations environnementales, paysannes, de consommateurs et d’Attac. Au mois d’octobre, nous participerons au rassemblement très largement unitaire sur l’immigration et le développement, à la suite de la directive sur l’expulsion et la rétention des personnes étrangères, dite « directive de la honte », à l’initiative du Centre de re­cherche et d’information pour le développement (Crid). Au mois de novembre, nous mobiliserons sur le climat et l’énergie, et au mois de décembre, un important rassemblement sur l’Europe sociale est aussi prévu. On espère faire ainsi converger l’ensemble des forces sociales, écologistes, féministes, etc. sur l’Europe sociale, qui est la grande absente de la présidence française de l’Union.

Les prochaines élections européennes font-elles aussi partie de vos priorités ?

Aurélie Trouvé : Nous comptons être extrêmement présents dans la campagne en tant que force d’interpellation et de creuset d’idées. On peut d’autant mieux le faire que nous sommes indépendants de tout parti politique et de tout candidat. Les Attac d’Europe vont organiser une journée d’action européenne pour le respect du « non » irlandais, français et néerlandais, le 11 octobre, à l’appel de la Coordination irlandaise pour un « non de gauche ». On va aussi porter deux campagnes au niveau du Forum social européen [^2], l’une sur l’Europe sociale et démocratique, et l’autre sur le désarmement des marchés financiers, en renouant avec nos luttes premières. Les Attac d’Europe ont aussi l’objectif d’associer la Confédération européenne des syndicats (CES) à ces initiatives, car on voit que ses positions évoluent.


Le gouvernement est dans une situation embarrassante sur le plan budgétaire du fait de la crise économique. A-t-il fait les bons choix ?

Dominique Plihon (président du conseil scientifique) : La crise économique évolue, hélas, conformément à nos prévisions d’il y a un an. Elle est profonde, systémique et durable. Nous ne sommes pas étonnés de la probable récession, qui aura des effets négatifs, notamment sur l’emploi. Cette situation va durer : l’année 2008 et probablement une partie de l’année 2009 seront des années difficiles en ce qui concerne la conjoncture internationale. Nicolas Sarkozy s’est piégé avec le paquet fiscal de 15 milliards qu’il a mis en œuvre dès son arrivée au pouvoir. Des travaux récents montrent que ce paquet fiscal est un coup d’épée dans l’eau du point de vue du soutien à la croissance, notamment parce qu’une grande partie de ces fonds a été épargnée au lieu d’être dépensée par les ménages les plus aisés. L’impact sur la croissance est minime, pour ne pas dire négligeable. Nicolas Sarkozy a ainsi perdu des marges de manœuvre compte tenu des contraintes du pacte européen de stabilité et de croissance, pacte que nous déplorons.
Cette manne de 15 milliards aurait pu être utilisée pour redonner du pouvoir d’achat aux classes les moins favorisées, pour relancer l’investissement dans les domaines du transport ferroviaire, de la recherche, de ­l’éducation et de la formation. La politique de Nicolas Sarkozy est contre-productive. Dès que la crise a éclaté, les lobbies financiers ont poussé les gouvernements européens à ne pas instaurer de mesures de contrôle et de régulation forte. Il y a une alliance forte entre les élites financières, les gouvernements européens et la Commission européenne, ce qui explique que le gouvernement français ne bouge pas. Cependant, nos idées font quand même leur chemin. Par exemple, ­l’idée de mettre en place une régulation internationale ou une taxation internationale de nature écologique et financière est acceptée et n’est plus considérée comme baroque. La crise internationale, si elle dure et se généralise, pourrait pousser les gouvernements à se coordonner au niveau international pour essayer de mettre en place de nouveaux instruments.

[^2]: Le prochain Forum social européen aura lieu à Malmö (Suède) du 17 au 21 septembre.

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