Le Maghreb dans la dynamique altermondialiste

Mouhieddine Cherbib est président de la Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives (FTCR), membre du comité de pilotage du Forum social maghrébin.
Il tire un bilan positif de ce rassemblement qui a eu lieu cet été.

Mouhieddine Cherbib  • 28 août 2008 abonnés

Dans tout le Maghreb, les luttes sociales continuent de s’amplifier, de même que les luttes pour les droits humains, la défense de sociétés civiles réprimées, ou encore les pressions sur le contenu de l’Union pour la Méditerranée… Voilà deux raisons conjoncturelles de se féliciter de la tenue, cet été, du premier Forum social régional en terre maghrébine, rassemblant des sociétés civiles de toute la région. C’est un exploit, d’autant que le Maghreb était jusqu’ici le grand absent de la dynamique altermondialiste mondiale.
Ce premier FSMagh mûrit pourtant depuis quatre ans, en dépit même de réalités politiques difficiles : fermeture depuis 1975 de la frontière maroco-algérienne, contentieux du Sahara occidental ; plus grave, l’absence de société civile autonome, comme en Libye, de libertés et de démocratie, comme en Tunisie, ou d’espace possible hors d’un pouvoir ; des entraves aux déplacements des acteurs politiques et sociaux ; des susceptibilités culturelles entre les différents acteurs, qu’il a fallu prendre le temps de faire dialoguer entre eux… Les 25, 26 et 27 juillet à Al Jadida, réunissant 2 000 personnes autour de 24 séminaires, 42 ateliers autogérés et 9 axes de débat, ce premier FSMagh a finalement réussi à impliquer sept délégations du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Mauritanie, de Libye, du Sahara occidental et de l’immigration maghrébine, ainsi que de nombreux invités internationaux d’Afrique subsaharienne, de Palestine, d’Israël, mais aussi d’Europe et d’Amérique du Nord.

Les différentes délégations témoignaient des contradictions de leurs sociétés. J’ai été frappé par la richesse et le dynamisme de la société civile marocaine, liés à un processus politique national certes complexe, mais qui a permis tout de même à la société civile de s’autonomiser depuis une dizaine d’années vis-à-vis du pouvoir et des tractations politiciennes… Ailleurs, du fait de pouvoirs autoritaires, comme en Tunisie et en Libye, ou corrompus, comme en Algérie, un tel terreau est faible ou inexistant, ou témoigne d’un recul, comme en Mauritanie. Ce FSMagh est d’autant plus remarquable qu’il a réuni, en dépit de tout, des acteurs locaux et régionaux des sociétés civiles réelles, dont de nombreux militants pour les droits humains et la démocratie, et des représentants des luttes en cours, favorisant ainsi une meilleure connaissance réciproque, et l’instauration de relais et de médiations nécessaires pour ces luttes. […].

Dans tout le forum, on comptait 30 % de jeunes et 30 % de femmes ! Ces acteurs ont pu s’ouvrir quant à eux à la diversité des luttes maghrébines… Ce qui a vu le jour à Al Jadida est l’espace populaire autonome de luttes le plus important depuis les Indépendances. Il a permis l’expression des solidarités avec les luttes actuelles : luttes de Sidi Ifni, des grévistes syndicalistes du Snapap, contre les atteintes aux libertés et à la démocratie en Mauritanie, pour la défense des intérêts des populations du bassin minier tunisien de Gafsa… Tourné vers le rêve d’un Maghreb des Peuples, le FSMagh a fait naître en outre des coordinations maghrébines sur l’eau, les droits humains, les femmes, l’immigration, les jeunes, ainsi qu’une Charte du Maghreb des Peuples, certes critiquable, par exemple sur la faiblesse de son volet culturel, mais pouvant servir de cadre de référence…
Le FSMagh a abordé de front les questions politiques les plus sensibles : cherté de la vie, crise sociale, chômage, droits humains, biens publics, migrations, etc. Une question aussi délicate que celle du Sahara a été abordée dans un séminaire de 600 participants, pour la première fois au Maroc, dans un cadre maghrébin. Toutes les opinions étaient représentées, des plus hostiles à l’indépendance d’un Sahara occidental à ses défenseurs les plus enthousiastes. Plusieurs débats ont porté également sur la laïcité. Les débats du FSMagh ont été essentiellement menés entre des Maghrébins globalement laïcs, mais présentant de fortes divergences sur la question du traitement de la laïcité en terres de culture et de tradition musulmanes. Le FSMagh étant perçu comme une initiative de la gauche, les islamistes, cependant, se sont peu ou pas inscrits […]. Il faut cependant tenir compte des nuances entre les situations dans les différents pays et les différents mouvements à ce propos.

La problématique de l’immigration a été également très discutée : droits et situation des migrants dans les pays du Nord ; le Maghreb en tant que région de transit des migrants subsahariens, impliquant des coopérations interétatiques de plus en plus étroites pour la gestion des flux migratoires vers l’Europe ; le Maghreb, enfin, comme pays d’accueil de ces derniers, ce qui implique la question, relativement inédite, des droits des immigrés chez nous, au Maghreb ! Les militants n’en avaient jamais discuté auparavant !
La Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives revendique pour la population immigrée de France cette qualité de citoyens de chaque côté de la Méditerranée. D’où l’élan de solidarité qui nous anime face aux mouvements sociaux et notre mobilisation permanente ici pour le droit de vote des citoyens étrangers, et en même temps notre soutien aux luttes pour la démocratie et les luttes sociales au Maghreb. En retour, les gouvernements nous répriment dans les deux pays, par une sorte de « double peine »… Je pense à Essagh’aier Belkhiri, ressortissant tunisien de Nantes, dont le crime est d’avoir exprimé en France sa solidarité avec le bassin minier de Gafsa, et qui est pour cette raison emprisonné en Tunisie depuis cet été.
Malgré son pari réussi, l’avenir du Forum social maghrébin reste aujourd’hui incertain. Par exemple, le récent coup d’État militaire en Mauritanie remet en cause notre espoir d’y tenir notre prochain forum. Nous condamnons fermement ce coup de force et appelons au rétablissement de la démocratie et du gouvernement issu d’élections libres. Il n’y a de légitimité possible dans la région que pour des régimes démocratiques respectueux des libertés et des droits des peuples.

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