« Ça remue dans les rangs »

Président de la FCPE, principale fédération de parents d’élèves, Jean-Jacques Hazan anticipe les conséquences des mesures d’économies décidées par le ministère sans concertation et sans projet pédagogique à la clé.

Ingrid Merckx  • 4 septembre 2008 abonné·es

Le 28 août, le ministre de l’Éducation, Xavier Darcos, a assuré que la rentrée se passerait « tout à fait normalement ». Est-ce votre impression ?

Jean-Jacques Hazan : Comment le ministre peut-il annoncer une rentrée « tranquille » avec 11 200 postes en moins dans l’Éducation ? Non seulement on ne crée pas de postes dans le 1er degré alors que les effectifs croissent, mais on annonce 6 000 postes en moins pour la rentrée 2009. Dans le secondaire, plus de 8 000 postes sont supprimés dès cette rentrée, et 5 000 ont été convertis en heures ­supplémentaires. Mais comment compresser un volume de près de 400 000 heures d’enseignements en 100 000 heures supplémentaires ? Dans certains établissements, la dotation horaire globale passe grâce à plus de 10 % d’heures supplémentaires. Si chaque enseignant en faisait une (obligatoire), ça représenterait 6 %. Que se passe-t-il pour les autres ? Et comment les répartir ? Et puis les besoins d’heures sup ne sont pas les mêmes dans toutes les matières. Nous n’avons pas encore de retombées par établissement pour cette rentrée, mais certains ont déjà prévu que les remplaçants couvriront les heures non pourvues. Nous aurons rapidement une vision plus claire de la situation : quand tous les inscrits ne pourront pas rentrer dans une classe, quand des élèves de 3 ans n’auront pas été inscrits, quand les parents découvriront des suppressions de classes, quand les emplois du temps en collèges et lycées ne seront pas complets parce qu’il manquera des enseignants pour assurer les cours… Sans compter les conséquences de l’arrêt de la sectorisation et celles du plan de réorganisation du temps scolaire, qui n’a pas été préparé. Alors, dire que le climat n’est pas tendu…


Pour la première fois depuis quinze ans, le ministère n’a publié aucune prévision récente des effectifs pour préparer la rentrée. Comment l’expliquer ?

Ce ministère est, depuis un moment, en retard de trois mois sur la publication des circulaires. Notamment celle concernant la semaine de quatre jours : aujourd’hui, les maires demandent encore un report de cette mesure et un moratoire d’une année sur la réforme des programmes de primaire.

Comment le ministre peut-il maintenir l’argument de la baisse démographique pour justifier les suppressions de postes quand tout le monde anticipe une prochaine explosion des effectifs ?
La démographie scolaire globale n’est pas très différente d’une année sur l’autre : en augmentation, elle suit à peu près la courbe démographique de la France. Mais il y a surtout des années qui ont été très creuses (1996 à 1998) et d’autres bien plus riches (2000 à 2003). Sur du très long terme, les chiffres s’équilibrent. Et si, aujourd’hui, il y a de plus en plus d’enfants dans le ­primaire, ils seront mathématiquement de plus en plus nombreux dans les collèges d’ici quatre ou cinq ans. Le discours du ministre est en contradiction avec la réalité.

24 organisations se sont réunies le 28 août pour décider d’un plan d’action pendant l’année. Comment se positionne la FCPE dans cet ensemble ?

Ce rassemblement regroupe les principaux syndicats, les étudiants, les lycéens, les mouvements pédagogiques, les mouvements d’éducation populaire et la FCPE. On lance une grande campagne d’opinion sur l’école. L’année dernière, la bataille a été d’autant plus rude que le gouvernement avait tous les indicateurs au positif. Cette tendance s’inverse, et les enseignants et parents d’élèves en ont assez d’un ministère qui refuse tout dialogue. La FCPE continue à jouer son rôle : elle s’est battue sur le poids des cartables et l’hygiène dans les toilettes. Elle se bat pour défendre les conditions de travail des élèves, la manière dont on les considère, le contenu des programmes et le fonctionnement de l’école. Mais elle change d’échelle, c’est vrai, en abordant des questions plus politiques, au sens large du terme. L’heure est à une mobilisation unitaire. Cela va-t-il durer ? Les élections professionnelles de décembre pourraient provoquer une division qui arrangerait bien le ministre. En attendant, ça remue dans les rangs. Non sans conséquence : nous avons appris cet été que le gouvernement baissait son aide à la FCPE en supprimant ses cinq postes de profs mis à disposition.

Quelles sont vos principales inquiétudes ?

Le choix actuel que nous analysons de réduction des ambitions pour l’école et cette volonté de faire croire aux gens que ce n’est pas à l’école que les choses se jouent. Le ministère a décidé de réduire de 10 % le temps scolaire en primaire. Or, les horaires des élèves seront encore aussi surchargés : ils passent de 26 heures sur 9 demi-journées à 4 journées de 6 heures. En plus, on fait croire qu’on va rattraper les élèves en difficulté, qui auront déjà du mal à engloutir les six heures quotidiennes, en leur ajoutant une demi-heure de travail par jour ! C’est délirant. Mais la discussion n’a même pas eu lieu avec les municipalités. Les conseils généraux s’inquiètent aussi de la suppression de la sectorisation, qui a des effets qualitatifs, quantitatifs, mais aussi des conséquences difficiles à prévoir sur les transports scolaires ou la restauration. Enfin, le seul moyen de récupérer des postes dans le primaire, c’est de remettre en cause la scolarité des enfants âgés de 3 ans et moins. Et ça, pas question ! Pourtant, on répète depuis des années que la mesure d’économie la plus intéressante, ce serait l’arrêt des redoublements. Voilà qui permettrait de faire faire des économies et de réinvestir des moyens dans l’école en s’appuyant sur un projet pédagogique.

Qu’en est-il de la réforme des programmes ?

Elle s’est faite sans concertation. Le gros de la réforme porte sur l’apprentissage de la lecture et des mathématiques. Pour résumer, on pourrait dire qu’on passe d’un moment où l’on considérait l’élève comme acteur de son apprentissage à un système où on lui fait faire de la répétition. Là où les ­élèves français sont mauvais, c’est sur les exercices de compréhension et de réflexion, sur les « problèmes ». Or, avec cette nouvelle réforme, on met en place des programmes « utilitaristes » avec encore plus de règles à apprendre, permettant de dégager des résultats qu’on pourra mesurer et afficher.

Le coût de la rentrée augmente de 0,36 %. Le 19 août, Familles de France a annoncé une baisse de 7,67 %. Effet de manche ?

Si le ministère avait voulu faire un « cadeau », il aurait augmenté le montant des bourses ou baissé la TVA, ce qui aurait rendu les articles de rentrée moins chers pour tout le monde. Là, ça ressemble à un petit arrangement autour d’articles en promotion pour réaliser une opération de communication. Les enseignants qui n’ont pas réclamé de fournitures comprises dans ce panier vont en faire les frais. Mais leur a-t-on seulement parlé de ce projet avant les vacances ? Rien n’est anticipé. Pas même les mesures d’économie.

Société
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