Ils restent fidèles à leur Poste

Certains services de La Poste sont déjà ouverts à la concurrence, et la direction entend amplifier ce mouvement. Les syndicats se mobilisent contre ce démantèlement : deux pétitions sont lancées et une grève est prévue le 23 septembre.

Isabelle Zyserman  • 11 septembre 2008 abonné·es

La distribution du courrier est déjà l’objet d’une rude bataille entre La Poste et Adrexo. La filiale du groupe de presse Ouest-France est un des principaux concurrents du service public pour la distribution de prospectus. Son slogan, « Donner accès à 25 millions de boîtes à lettres », se veut très ambitieux. Les postiers ­d’Adrexo distribuent le courrier dans 13 départements français, dont l’Alsace, l’Aquitaine ou encore l’Auvergne. Aujourd’hui, l’entreprise se présente comme le premier opérateur postal en France, même si elle a dû abandonner son projet très avancé de filiale de distribution de courrier, Adrexo Mail. Le mouvement de privatisation devrait s’amplifier depuis que la direction de La Poste a annoncé le changement de statut du groupe en société anonyme et l’ouverture de son capital. Pour enrayer celle-ci, deux pétitions, « Touche pas à ma poste » et [« Pas touche à ma poste »](www.pas touchealaposte.ras.eu.org), ont été lancées par les syndicats de La Poste. Une grève est annoncée pour le 23 septembre, et un référendum est demandé au gouvernement.

La volonté européenne est d’ouvrir totalement à la concurrence les services postaux. La première étape remonte à 2002 avec une directive transposée en France l’année suivante. L’évolution vers une logique de rentabilité a entraîné l’abandon du développement des services considérés comme déficitaires. Au profit d’autres comme la Banque postale. « Pourtant, la France est la plus compétitive en Europe pour la distribution du courrier. Un décret de 2007 affirme que le service universel postal doit être assuré 5 jours sur 7. En France, il l’est 6 jours sur 7. Le même décret précise aussi que, si les conditions d’accès sont difficiles, la distribution du courrier ne se fait pas » , explique Régis Blanchot, du syndicat SUD-PTT. Certaines zones rurales ne sont pas desservies en cas de tempête. « En Guyane, les infrastructures manquent en dehors des grandes villes. Il arrive que les postiers distribuent le courrier en pirogue » , raconte Régis Blanchot. Le premier semestre 2008 a vu une nouvelle saignée dans le personnel : « Pas moins de 5 812 emplois ont été détruits pour l’ensemble du groupe » , note SUD-PTT.

Maintenir les 17 000 « points de contact » (agences et relais) de La Poste coûte 255 millions d’euros, et « l’État n’assure plus le financement des missions de service public. Alors même que La Poste lui verse un milliard d’euros par an », déplore Régis Blanchot. « C’est une entreprise publique qui devrait embaucher au lieu de licencier, constate Emmanuel, facteur dans le XVIIe arrondissement de Paris. Dans notre bureau de poste, nous sommes passés de 300 salariés en 2003 à un peu moins de 200 cinq ans plus tard. »
Régis Blanchot décrit « un service postal à plusieurs vitesses. L’usager ne recevra plus son courrier chez lui, sauf s’il paye. Comme en Suède ». Privatisée depuis 1996, « la poste suédoise, souvent invoquée comme un modèle de libéralisation, a drastiquement réduit ses embauches. Le prix du timbre a augmenté de 70 %, et une multitude d’opérateurs sont présents dans une même ville » . En Grande-Bretagne, la Royal Mail a de nombreux « points de contact ». « Ce sont notamment des épiceries pakistanaises dont l’équipement est à la charge du commerçant. » Deux mille d’entre eux sont menacés de fermeture.

Depuis 2007, La Poste a entamé la « filialisation » de ses services les plus rentables. Les services financiers sont transférés en 2005 à une société anonyme, la Banque postale. Jean-Paul Bailly, directeur du groupe, mise aussi sur l’actionnariat salarié pour recueillir l’adhésion à son projet d’ouverture du capital du groupe. Au conseil d’administration du 28 août dernier, il n’a pas caché ses intentions de privilégier ­l’épargne populaire, car « elle permet aux Français d’être propriétaires d’un bout de La Poste » . Tous les moyens sont bons pour favoriser la privatisation. En 2007, la direction a proposé plusieurs plans d’épargne aux salariés, largement encouragés par des « cadeaux » : 45 000 plans ont été ouverts. Or, seuls 10 à 15 % des salariés de La Poste ont mis leurs économies dans un tel plan. La plupart sont des cadres. En avril 2008, les postiers n’ont reçu que 94 euros pour les bénéfices de l’année 2007. Mais les rémunérations des dirigeants se sont envolées.

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