« La procédure fabrique trop d’espoirs vains »

Présidente d’Enfance et familles d’adoption, Janice Peyré* revient sur la réforme de l’adoption présentée fin août, à l’heure où les procédures internationales évoluent rapidement tandis que la France prend du retard.

Ingrid Merckx  • 11 septembre 2008 abonné·es

Le 27 août, Rama Yade, secrétaire d’État aux ­Affaires étrangères, et Nadine Morano, secrétaire ­d’État à la Famille, ont présenté une réforme de ­l’adoption internationale qui s’appuie sur un rapport de 350 pages présenté par Jean-Marie Colombani. Ces deux textes étaient-ils attendus ?

Janice Peyré : L’adoption internationale évolue rapidement, et il était urgent de faire un état des lieux du dispositif français. Jean-Marie Colombani a consulté très largement, et son rapport a ceci d’intéressant qu’il recentre la question de l’adoption sur la reconnaissance d’un droit universel à l’enfance, contre celle d’un « droit à l’enfant ». Ensuite, les cabinets des deux ministres se sont saisis du dossier pour en tirer un projet de réforme. Celui-ci va parfois plus loin qu’attendu en proposant, par exemple, de créer un réseau de volontaires de l’adoption internationale pour renforcer le soutien sur le terrain.

Illustration - « La procédure fabrique trop d’espoirs vains »


Adèle, originaire du Guatemala, et son père, lors d’une manifestation pour soutenir l’adoption internationale. Meyer/AFP

Les réformes annoncées sont ambitieuses. Sont-elles réalistes ?

À condition d’un fort investissement politique et humain. Il faudra des modifications législatives. Concernant l’agrément d’abord : il est question d’instaurer une séance d’information obligatoire en début de procédure afin que les candidats aient conscience dès le départ des réalités concernant les enfants adoptables. Autre réforme : une modification de l’article 350 sur les enfants délaissés en France. Tant que ­l’abandon n’est pas constaté, ces enfants ne peuvent devenir pupille de l’État, statut qui leur permet de bénéficier d’un conseil de famille et éventuellement d’un projet d’adoption. Ils peuvent rester des années dans un no man’s land affectif. Cet article de loi existe déjà, mais la réforme propose que le procureur, alerté par les travailleurs sociaux, saisisse directement le juge. La procédure d’abandon doit évidemment être engagée au cas par cas avec beaucoup de précaution. Mais son accélération éviterait qu’on attende parfois six ans avant de constater que le retour dans la famille de naissance n’est pas possible. Autre modification : le décret réformant les statuts de l’autorité centrale de l’adoption. L’actuelle est invisible et inopérante. Il est question que la nouvelle soit un service permanent du ministère des Affaires étrangères et qu’elle fixe des objectifs à l’Agence française de l’adoption (AFA) et aux organismes autorisés (OAA).

Près de 75 pays ont signé la Convention de La Haye, qui encadre l’adoption internationale. On entend pourtant parler de quotas, de passe-droit… Et tout le monde garde en tête l’affaire de l’Arche de Zoé. Quel cadre éthique pour l’adoption ?

Les pays partie à la Convention de La Haye font comme ils peuvent. Certains n’ont pas d’état civil, de structure de protection de l’enfance… Cette Convention permet déjà une prise de conscience. Elle interdit les contacts directs entre adoptants et parents de naissance ou chefs de village. Elle supprime la possibilité d’aller directement dans un orphelinat « choisir » son enfant. Elle encourage l’adoption nationale. Si une famille française veut adopter un enfant au Burkina Faso, elle doit passer par un opérateur reconnu par les deux autorités centrales, française et burkinabé : l’AFA ou un OAA. Les services burkinabés étudieront le dossier et décideront ou non de proposer un apparentement avec un enfant. Cela limite les dérives comme celles dont on a pu être témoins, au Cambodge ou au Guatemala… Des pressions s’exercent dans les pays fragiles. C’est pourquoi il faut, derrière la Convention de La Haye, développer des outils pour permettre son application. Il importe aussi que les pays du Nord soient solidaires avec ceux du Sud. Enfin, il est urgent de redonner du poids à notre autorité centrale, comme c’est le cas chez nos voisins. Et que nous améliorions notre procédure d’agrément.

Pourquoi la procédure d’agrément est-elle si lourde en France et laisse-t-elle tant de candidats en attente ?

Plusieurs raisons à cela : d’abord, le nombre d’adoptions à l’international baisse. C’est souvent bon signe : les pays d’origine privilégient maintenant l’adoption nationale, et le regard sur l’enfance, les femmes, la maternité, la conception et la contraception évolue. Ce qui veut dire moins de grossesses non désirées ou non suivies, et donc moins d’abandons. C’est le cas en Pologne, Hongrie, Lettonie, Lituanie, dans les Pays Baltes… La Chine, qui a connu une politique nataliste très stricte, voit actuellement exploser les demandes ­d’adoptions nationales.
Autre facteur : ­l’agrément en France a pris du retard. Les pays d’origine ont donc tendance à faire passer les dossiers français derrière ceux d’autres pays européens. Enfin, notre système d’adoption est morcelé entre l’AFA, les OAA, les démarches individuelles (peut-être un tiers des adoptions). Et les informations sont très émiettées. C’est pourquoi nous réclamons l’instauration d’un grand portail avec des informations ­claires et validées, pour les candidats et pour nos interlocuteurs étrangers. Si nous avons du mal à nous y re­trouver, comment les autorités étran­gères le pourraient-elles ?

Sur les 30 000 familles qui reçoivent ­l’agrément, 4 000 parviennent à adopter un enfant. Pourquoi ce décalage ?

Il y a une part de responsabilité politique… Par ailleurs, ­l’adoption suscite un certain engouement, apparaît comme une réponse aux problèmes de fécondité ou de stérilité, aux projets familiaux plus tardifs, qui font que l’enfant biologique est moins souvent au ­rendez-vous. Les gens se tournent alors vers la procréation médicalement assistée ou vers ­l’adoption, trop souvent en dernier recours et non comme projet assumé. En oubliant souvent que « l’enfant adoptable » est un enfant qui existe déjà, avec son baluchon de souffrance. Nombreux sont ceux qui s’engouffrent dans cette voie sans réelle prise de conscience, ignorant que les pays fixent leurs propres critères : la Colombie, par exemple, fixe une corrélation entre l’âge des parents et celui des enfants. Certains candidats ont des exigences comme : « pas un enfant malade », « un enfant de telle couleur ». Ces critères peuvent choquer, mais si certains candidats sont ambivalents concernant l’origine ethnique, il vaut mieux le savoir avant. Certains obtiennent des agréments pour des projets irréalisables. La procédure actuelle fabrique trop d’espoirs vains là où l’on se devrait d’être plus réaliste et honnête.

Le rapport Colombani évoque « un primat de l’enfant biologique ». Pourtant, le scandale provoqué par les tests ADN pour les candidats à l’immigration a pu laisser penser qu’une autre vision de la famille avait cours en France. Qu’en est-il ?

La fronde contre cet amendement inadmissible a laissé entrevoir une reconnaissance par la société civile de la famille non biologique : familles recomposées, familles adoptives. En même temps, certains organismes – et des politiques ! – privilégient encore le lien biologique, comme si le lien biologique était toujours le meilleur et le non-biologique toujours suspect. Du coup, trop d’enfants placés restent suspendus à un espoir illusoire de retour dans leur famille biologique. Pourtant, en France, des milliers d’enfants grandissent auprès de leurs parents sans être du même sang. Là aussi, les mentalités doivent évoluer.

Comment expliquer un taux si faible d’adoptions nationales ?

Il y a fort heureusement de moins en moins d’enfants non désirés. Les aides aux parents isolés se sont améliorées. Il y a moins ­d’abandons. Mais quelque 120 000 enfants sont pris en charge par les services sociaux. Beaucoup pour des temps courts. ­D’autres pour des années, attendant trop longtemps une solution. Cela ne peut plus durer ! Ces enfants ont connu trop de déplacements, de ruptures, ils en souffrent, ont du mal à s’investir dans des relations, dans leur scolarité, à faire des projets. Pour preuve : un tiers des jeunes sans-abri sont passés par les services sociaux pendant leur enfance. Par ailleurs, les familles se tournent vers l’étranger parce qu’elles pensent qu’il leur sera plus facile d’y adopter un bébé, et qu’elles sont ouvertes à l’idée d’un enfant d’une ethnie différente de la leur. Or, les bébés adoptables sont de plus en plus rares à l’étranger, et les enfants adoptables en France sont à l’image de la France : de toutes les ­origines. Se préparer à accueillir un enfant d’une autre ethnie que la sienne vaut aussi en adoption nationale !

Quelles inégalités sociales face à l’adoption ?

Gratuite en France, l’adoption suppose des frais à l’étranger (avocats, soutien aux orphelinats, traductions, déplacement, etc.). Les familles modestes sont pénalisées. Au Burkina Faso ou en Lettonie, les coûts restent raisonnables. Mais certains pays comme le Vietnam ou la Russie jouent la surenchère. Il y a des effets de mode, de préjugé : on pense que l’enfant russe sera blanc, que l’enfant asiatique sera bon en maths… Une adoption en Russie peut coûter entre 15 000 et 20 000 euros. Contre 3 000 euros au Mali. C’est indécent de parler en ces termes et pourtant… Nous disons aux parents qu’un jour, ils devront expliquer à leur enfant leur rapport à l’argent, ce qu’ils ont dépensé et comment, pourquoi ce pays-là… Certains, aussi, choisissent un pays pour des raisons personnelles : un grand-père russe, une grand-mère polonaise… Mais les adoptants ne peuvent pas porter seuls ­toutes les responsabilités. Les autorités centrales doivent réguler.

On entend répéter que les enfants adoptés connaissent des adolescences particulièrement difficiles. Est-ce une idée toute faite ou un fait avéré ?

Chaque ado se dit : « Qu’est-ce que je fais sur cette terre, dans cette famille ? Pourquoi ces parents-là, cette famille-là ? » L’enfant adopté a été fragilisé par son abandon. Un jour ou l’autre, il lance : « Tu n’es pas mon vrai père, tu n’es pas ma vraie mère, tu n’as rien à me dire ! » Ça peut aller loin, car il teste le choix ­d’amour que ses parents lui ­disent avoir fait. Jusqu’où va-t-il, cet amour ? C’est pourquoi nous mettons en garde contre les adoptions humanitaires, type « Arche de Zoé ». Comment supporter d’être une « bonne cause » ? Et puis, il y a des parents qui manifestent trop d’attentes par rapport à leur enfant. Leur déception est aussi un facteur de fragilisation. D’où la nécessité d’une préparation à l’adoption et l’utilité d’un accompagnement ensuite. Une fois l’enfant adopté, la famille est « une famille comme les autres », il est hors de question qu’elle reste « sous surveillance ». Mais il existe des structures, notamment associatives, qui proposent d’accompagner la parentalité, quelle qu’elle soit. Chaque rupture – changement d’école, séparation, décès – peut réveiller une blessure chez l’enfant qui a été abandonné. Ces soutiens existent, il faut s’en servir !

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