L’alibi social

La taxation de certains revenus du capital pour financer
le revenu de solidarité active tente de masquer la poursuite
des réformes et l’accroissement de la précarité.

Thierry Brun  • 4 septembre 2008 abonné·es

Nicolas Sarkozy se devait de lancer « un message politique fort » en cette rentrée sociale. Dans une période de quasi-récession, le lancement du revenu de solidarité active (RSA) a été l’occasion d’annoncer le 28 août une taxe de 1,1 % assise sur les revenus du patrimoine et des placements pour le financer. L’effet d’aubaine médiatique et politique de cette mesure de gauche a provisoirement rendu inaudible les critiques sur la politique fiscale du gouvernement et masqué les effets des réformes en cours. Alors que les caisses de l’État sont « vides », comme s’évertue à le répéter le gouvernement, il fallait trouver un moyen d’éviter l’abandon de sa mesure sociale phare, ou le financement de celle-ci par une baisse de la prime pour l’emploi. « Le pire semble ainsi évité, puisque, à l’origine, le RSA devait être financé par une baisse de la prime pour l’emploi, les pauvres finançant ainsi les plus pauvres. Deux problèmes subsistent néanmoins. L’un concerne le financement lui-même, l’autre la nature même du RSA », souligne l’Union syndicale Solidaires.

Illustration - L'alibi social

Martin Hirsch et Nicolas Sarkozy, le 28 août à Laval. Cerles/AFP

La situation économique et sociale a donc contraint le gouvernement à lever un tabou majeur en montrant que taxer le capital, mesure impossible hier, est devenu réalisable aujourd’hui. Le dispositif présenté en Conseil des ministres le 3 septembre est cependant bien loin de marquer un tournant politique. La nouvelle taxe concernera tous les revenus du patrimoine, à l’exception des livrets A. C’est-à-dire les dividendes d’actions, les revenus d’obligations et les loyers, les plus-values des valeurs mobilières ou de l’immobilier. Deux des produits d’épargne les plus populaires, le PEA (plan d’épargne en actions) et le contrat d’assurance-vie (12 millions de titulaires), seront concernés. « Cette mesure ne s’inscrit pas à contre-courant de cette tendance fiscale lourde que le paquet fiscal a récemment contribué à accélérer et qui déséquilibre profondément le système fiscal dans son ensemble » , constate le Syndicat national unifié des impôts (Snui).

L’essentiel de l’effort – 1,1 % sur les revenus du capital rapporterait 1,4 milliard d’euros pour compléter le financement du RSA – sera supporté par les « classes moyennes ». Les plus riches seront mis à contribution, a confirmé à retardement Christine Lagarde, ministre de l’Économie, mais le paquet fiscal rendra indolore cette ponction. Mis en place dans le cadre de la loi TEPA (Travail, emploi et pouvoir d’achat) d’août 2007, cette mesure constitue un allégement de 8 milliards d’euros cette année. Si le gouvernement voulait vraiment taxer le capital, il aurait pu s’en prendre aux stock-options, dont la Cour des comptes a récemment rappelé que le fait qu’elles ne soient pas soumises à cotisations sociales induisait un manque à gagner de trois milliards d’euros. De plus, la crise économique n’a pas entamé la santé florissante des grandes entreprises du CAC 40, qui affichent des bénéfices en hausse. Il y avait là aussi des marges de manœuvre.

Versé par les caisses d’allocations familiales, le RSA s’adresse aux 30 % de salariés rémunérés au Smic mais travaillant à temps partiel, soit quelque 2,5 millions de travailleurs pauvres (5 millions de ménages sont concernés). Va-t-il cependant changer la donne sociale ? Avec le projet de loi généralisant le RSA, le gouvernement affirme vouloir « lutter contre la pauvreté », notamment pour ceux qui travaillent. Le pouvoir d’achat des travailleurs pauvres sera certes amélioré. « Cela réduira (un peu) la pauvreté laborieuse, mais avec le risque d’augmenter les miettes d’emploi » , prévient l’économiste Denis Clerc, membre, en 2005, de la commission présidée par Martin Hirsch, haut commissaire aux Solidarités actives qui a promu l’idée du RSA. Pour la sociologue Noëlle Burgi, auteure de la Machine à exclure (La Découverte, 2006), « le RSA risque de multiplier les mauvais “petits boulots”, d’institutionnaliser un second marché du travail basé sur le précariat ».

Les employeurs pourront profiter du fait que les allocataires du RSA reçoivent un complément des pouvoirs publics. « Le rapport Hirsch de 2005 prévoyait de prendre des mesures pour limiter l’importance du temps partiel. Or , estime l’économiste Pierre Concialdi, ces garde-fous n’existent plus. Ces emplois précaires ne sont pas des marchepieds vers des emplois durables ou plus rémunérateurs. » Le Conseil d’orientation pour l’emploi avait, fin mai, souligné que « si le RSA peut être l’un des instruments d’un retour à l’emploi, il n’en est pas le remède miracle » . Les obstacles sont surtout « le manque d’emploi disponible » . L’Insee a rappelé récemment l’importance d’une dégradation de la qualité de l’emploi pour près de 6 millions de personnes.

La portée du RSA s’avère limitée dans un contexte de réformes libérales socialement défavorables (voir Politis n° 1015) qui accroissent le sous-emploi et l’insatisfaction grandissante des salariés. L’entrée en vigueur à l’automne de la loi sur « l’offre raisonnable d’emploi », imposant aux chômeurs de réduire progressivement leurs prétentions de salaires et de lieu de travail, et la loi dite de « modernisation du travail » sont emblématiques de l’acharnement du gouvernement à démanteler tous les droits sociaux pour ne pas toucher significativement aux revenus du capital.

Temps de lecture : 5 minutes